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Vincent Lambert : entre condamnation et indécision, la classe politique est divisée

Vincent Lambert : entre condamnation et indécision, la classe politique est divisée

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(© AFP)

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Par Astrid Van Laer

Publié le

À l'image de la famille du patient, qui est profondément en désaccord depuis des années.

Lundi 20 mai, le Dr Sanchez, chef de service des soins palliatifs du CHU de Reims, où est hospitalisé Vincent Lambert, patient tétraplégique et en état végétatif depuis plus de dix ans, a fait savoir que “l’arrêt des traitements” et “la sédation profonde et continue” avaient été “initiés” après que le Conseil d’État avait rendu son verdict le 24 avril, estimant que la poursuite des traitements équivaudrait à “une obstination déraisonnable”.

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Mais finalement, tard dans la soirée, la cour d’appel a “ordonné à l’État français […] de prendre toutes mesures aux fins de faire respecter les mesures provisoires demandées par le Comité international des droits des personnes handicapées (CIDPH) le 3 mai 2019 tendant au maintien de l’alimentation et l’hydratation” de Vincent Lambert, comme le rapporte l’AFP.

Depuis son accident de voiture en 2008, la famille Lambert se livre une bataille judiciaire sans merci et se déchire dans les médias. Ses parents, Viviane et Pierre Lambert, refusent catégoriquement l’arrêt des traitements et assurent que leur fils est conscient.

Hier, sa mère, en larmes, a en premier lieu déclaré que les médecins et les juges étaient des “monstres” et des “nazis”. Après le verdict de la cour d’appel, elle avait finalement salué “une grande victoire” et s’est rendue à l’hôpital, en compagnie de son époux, afin de “vérifier” la reprise des traitements de leur fils.

De l’autre côté, on retrouve Rachel Lambert, l’épouse de Vincent, qui a toujours assuré qu’elle savait ce que son époux aurait voulu. Selon elle, il lui aurait dit qu’il préférait “être piqué plutôt que de rester en vie comme un légume”.

Elle s’était dite “soulagée” lors de l’annonce de l’arrêt des traitements. Elle a fait savoir hier soir qu’elle comptait porter plainte après qu’une nouvelle vidéo montrant Vincent Lambert sur son lit d’hôpital a été diffusée sur les réseaux sociaux sans son accord.

Elle est soutenue par le neveu de Vincent Lambert, François Lambert, qui est favorable à l’arrêt des traitements et a qualifié la décision de la cour d’appel de “sadisme pur”. D’après lui, les parents de Vincent Lambert ont sombré “dans le militantisme“.

Rachel et François Lambert, le 7 janvier 2015. (© AFP/Frédérick Florin)

“Je n’ai pas à m’immiscer dans la décision”

Tout comme la famille de Vincent Lambert, la classe politique est divisée (même si une grande partie des politiques refusent de se prononcer). Emmanuel Macron, qui était invité à réagir au sujet de cette affaire, et à qui les parents Lambert avaient écrit pour le supplier d’intervenir, a estimé qu’il ne lui “appart[enait] pas de suspendre une décision qui relève de l’appréciation de ses médecins et qui est en conformité avec nos lois”.

Le président de la République a ensuite ajouté :

“Derrière les déchirements, j’entends une angoisse : celle qu’en France, on puisse décider de manière arbitraire de la mort d’un citoyen. C’est précisément parce que ce n’est pas le cas, parce qu’il n’y a pas, dans notre pays, de place pour l’arbitraire, que je n’ai pas à m’immiscer dans la décision de soin et de droit qui a été prise dans le cas de Vincent Lambert.

Juste à réaffirmer les principes fondamentaux qui tiennent notre Nation et prévalent sur toute autre considération : le combat pour la vie, le respect de la mort, la protection de chacun.”

Nathalie Loiseau, ministre chargée des Affaires européennes et candidate LREM aux élections européennes, a pour sa part refusé de s’exprimer lorsqu’elle a été questionnée sur BFM. Celle-ci a répondu :

“C’est du registre de l’intime. […] Je trouve indécent de se livrer à la moindre récupération politicienne sur une tragédie familiale. Donc vous ne me ferez dire aucun commentaire sur ce qui arrive à Vincent Lambert et sa famille. Je ne suis pas juge, je ne suis pas médecin. […] Donc je n’ai rien à dire.”

Dans un registre sensiblement similaire, Raphaël Glucksmann, qui conduit la liste Envie d’Europe aux élections européennes, a déclaré : “Je pense qu’il faut faire confiance aux médecins, à la justice de notre pays, il faut faire confiance aux institutions européennes.”

“Le droit de tuer froidement un handicapé vivant et qui pleure”

À l’inverse, Philippe de Villiers a jugé qu’hier était une “journée funeste pour la civilisation” car “l’euthanasie est pratiquée en France” :

“Le voilà leur progressisme et leur État de droit, c’est le droit de tuer froidement un handicapé vivant et qui pleure.”

Christine Boutin s’est pour sa part réjouie de la décision de la cour d’appel, qui selon elle signifie que “la France fidèle à ses valeurs n’est pas perdue”.

La présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, a estimé que cette “affaire dramatique” ne semblait “pas correspondre à l’esprit de la loi Leonetti”, “que nous avons d’ailleurs défendue”, a-t-elle ajouté en évoquant l’acharnement thérapeutique. “Mais Vincent Lambert ne survit pas là grâce à des machines, il est uniquement nourri et hydraté”, a-t-elle poursuivi. Et de renchérir :

“C’est une décision de justice qui condamne à la mort alors qu’on n’est pas dans un cas d’acharnement thérapeutique.”

Pour la tête de liste des Républicains, François-Xavier Bellamy, il n’y a pas de débat : “Il n’y a pas de vie indigne d’être vécue.” Celui-ci a tout d’abord déclaré sur France Inter : “Ce n’est pas une affaire sur laquelle on devrait s’exprimer à partir de convictions religieuses. C’est une affaire qui suppose que notre raison à tous intervienne.” Puis il a précisé :

“Et même une vie qui peut sembler inutile est une vie profondément humaine. Ce qui se joue, c’est le regard que nous portons sur la dépendance. Nous sommes dans un monde où vit le culte de la performance, où être humain c’est être agile, habile, rapide.”

“Nous devons apprendre de Vincent Lambert à ‘penser la mort'”

Vincent Lambert, le 28 septembre 2014. (© AFP photo/document de la famille Lambert)

Enfin, pour d’autres, l’émotion collective autour de cette bataille judiciaire doit mener à une réflexion commune sur la fin de vie. C’est le cas de l’ancien ministre Jean Leonetti, co-auteur de la loi Claeys-Leonetti – adoptée en 2016 et qui permet l’arrêt des traitements sans légaliser ni l’euthanasie ni le suicide assisté –, a réagi en publiant un communiqué :

“Même si la procédure médicale est conforme au droit et à la loi, elle engendre inévitablement une situation de grande tension au sein de la famille, de l’équipe médicale et de l’opinion qui ne saurait être ignorée.

Chaque responsable doit avoir, dans ces circonstances, des propos mesurés et respectueux du droit de dignité de la personne humaine et de la souffrance des proches.

Nous devons apprendre de Vincent Lambert à ‘penser la mort’, écrire nos directives anticipées et désigner une personne de confiance pour éviter que de pareilles situations ne se reproduisent.”

Jean-Luc Romero, maire-adjoint du 12e arrondissement de Paris et fervent militant du “droit à mourir dans la dignité”, a pointé du doigt les lacunes du droit : “Les lois sur la fin de vie montrent, une fois de plus, leurs graves lacunes. […] Combien de drames faudra-t-il encore pour les changer ?”

Pour sa part, Manon Aubry, tête de liste de La France insoumise aux élections européennes, a fait savoir auprès de France 2 : “Je pense aux deux côtés de la famille de Vincent Lambert qui sont en souffrance. Maintenant, je pense que cette affaire pose la question de la fin de vie dans la dignité.”

Même son de cloche du côté du leader de Générations, Benoît Hamon, qui a également plaidé pour une législation plus stricte :

“L’arrêt des soins administrés à Vincent Lambert repose la question de la fin de vie dans la dignité. Je réitère ma proposition que soit autorisé et encadré le suicide assisté pour ceux qui ne veulent pas achever leur vie, prisonniers d’un corps et/ou d’une lucidité dégradés.”

Pour l’heure, la décision de la cour d’appel est provisoire et valable six mois, le temps qu’un comité de l’ONU se prononce sur ce dossier.