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Témoignage : se déplacer à vélo, mon parcours du combattant

Témoignage : se déplacer à vélo, mon parcours du combattant

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© Pixnio

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Par La Zep

Publié le

Se déplacer tous les jours à vélo en ville, c’est possible ! Même si ce n’est pas, surtout à Paris, sans danger, Hugo s’y est mis !

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À 18 ans, j’ai commencé à me déplacer à vélo en ville pour maîtriser mon temps de trajet jusqu’à mon école : 2 km, soit 10 minutes porte-à-porte. Je n’étais plus dépendant du tramway. J’ai commencé avec les vélos en libre-service, puis avec mon vieux VTT. Lorsque je suis parti vivre un an à Shanghai pour mes études, j’ai très vite acheté un VTT pour effectuer mon trajet de 4 km jusqu’à l’université. C’était évident. 20 minutes porte-à-porte, plus rapide que le métro. Et c’était surtout un moyen de découvrir la ville, de connecter les quartiers entre eux et parfois, de s’arrêter en cours de route pour prendre une photo ou acheter à manger !

En Chine, il y a des couloirs pour vélos et scooters partout, protégés par des barrières de la circulation en voiture. Malgré une majorité de scooters, la cohabitation vélos-scooters se passe bien : un petit coup de klaxon ou de sonnette avant de dépasser l’autre, pas de mise en danger ni d’insultes. Je ne me suis jamais dit que les scooters n’avaient rien à faire là. La seule fois où je suis tombé, c’est parce que je n’ai pas regardé avant de me déporter à gauche dans un couloir vélo-scooter.

En arrivant à Paris, il y a dix mois, j’ai été intimidé par la masse de scooters et de très grosses motos. Tout trajet, de 1 à 10 km, est un parcours du combattant. Il y a toujours des obstacles à franchir et surtout à anticiper. C’est usant. Au début, j’étais intimidé alors que cela faisait deux ans et demi que je faisais du vélo régulièrement dans de grandes villes, Lyon et Shanghai. Alors forcément, on s’énerve. Un camion de livraison qui bouche l’entrée de la piste cyclable, un taxi qui te frôle à toute vitesse alors que tu es rangé à droite, tout ça pour que tu le rattrapes au feu rouge, une voiture qui accélère alors que tu arrives à contresens dans une petite rue, un scooter qui te presse derrière la piste cyclable, un troupeau de piétons non-attentif qui bloque la piste…

Le vélo c’est aussi une question politique

En naviguant sur Twitter, je me suis rendu compte que je n’étais pas le seul à subir ces mises en danger. Des cyclistes militants filment leurs trajets domicile-travail (“vélotaf“). Feux rouges grillés, voitures garées sur des pistes cyclables, dépassements dangereux, refus de priorité, insultes et menaces physiques, voire accidents. Ça nous touche émotionnellement, mais c’est aussi une question politique : ce sont les élus de la mairie qui décident des budgets pour les infrastructures et de s’ils demandent à leurs policiers municipaux de verbaliser ou de mettre à la fourrière les voitures mal garées.

Et puis, les transports ont une histoire : depuis les années soixante, la France est passée au tout-voiture et toutes les routes ont été pensées, y compris en ville, avant tout pour les voitures. Ce qui a aussi créé de la pollution et des dizaines de milliers de morts chaque année en France.

L’hiver dernier, j’ai abandonné le vélo pendant plusieurs mois. Je me suis réfugié dans le confort (relatif) du métro et du RER, n’ayant pas envie de subir les infractions au code de la route qui me mettaient en danger plusieurs fois par jour. J’ai repris l’habitude au printemps, faisant parfois 40 km par jour. C’est épuisant au début, mais on s’y habitue.

Même pour aller en banlieue pour mon travail, je pouvais aller plus rapidement à une gare RER, voire même prendre mon vélo à l’intérieur et terminer le trajet RER-destination finale en 5 minutes au lieu de 20 minutes à pied. L’année dernière, à Lyon, je n’avais même plus besoin de carte de transport : je faisais tout à vélo. 10 km à vélo, c’est 30 à 45 minutes en moyenne selon la connaissance du parcours, la qualité des pistes cyclables, la circulation ou son état de forme.

Face aux chauffards, pédagogie ou violence ?

L’année dernière, pour la première fois, j’ai été violent. J’ai cassé le rétro d’une camionnette garée sur la bande cyclable dans un virage difficile à négocier. Au feu suivant, la camionnette m’a rattrapé et le chauffeur m’a menacé. J’ai dû m’enfuir à toute vitesse pour ne pas qu’il me renverse et m’écrase.

Je n’ai pas récidivé, mais les conducteurs de véhicules motorisés me disent souvent qu’ils vont me “casser la gueule” quand je prends une minute pour leur expliquer qu’ils sont dangereux. La pédagogie ne fonctionne qu’une fois sur dix, le reste du temps, c’est au mieux du mépris et au pire, la menace de finir écrasé ou la tête “pétée contre le poteau”. Ce ne sont quasiment que des hommes. Comme le disait René Dumont : “la voiture ça pue, ça pollue et ça rend con !”

Certains peuvent dire que les torts sont partagés. C’est vrai, je crée aussi des situations dangereuses… Mais avant tout pour moi-même. Avec mon vélo et mon sac à dos, on ne dépasse pas les 80 kg. Une moto, c’est trois ou cinq fois cette masse. Une voiture, plus de dix fois. Un camion ou un bus, au moins cent fois. Je ne dépasse pas non plus les 30 km/h, je roule souvent à 20. Or ce sont les véhicules les plus lourds et qui vont le plus rapidement qui blessent, mutilent, tuent.

Le moteur permet des accélérations incroyables que je ne peux pas faire avec mes jambes. Heureusement, je n’ai eu aucun accident cette année, mais c’est passé deux ou trois fois à peu de chose près à cause de personnes irresponsables allant trop vite pour que j’anticipe (et freine) devant le danger.

Les piétons peuvent être dangereux pour les cyclistes s’ils ne sont pas attentifs : s’ils ont les écouteurs dans les oreilles, s’ils ne regardent pas avant de traverser une piste, s’ils regardent leurs smartphones. Cela arrive souvent. Mais eux sont plus vulnérables que moi : je peux les blesser et leur faire peur.

Se déplacer en ville, c’est se frotter à une pyramide alimentaire : les plus rapides et les plus volumineux sont les plus forts et imposent leur terreur si rien n’est fait pour les en empêcher. De haut en bas : les bus et les gros camions, les camionnettes et les 4×4, les voitures et les taxis, les grosses motos, les scooters, les vélos, les trottinettes, les piétons et les personnes à mobilité réduite. On est tous piétons à un moment ou à un autre, alors il faut aussi respecter leurs priorités et ne pas leur faire de grandes frayeurs pour gagner 5 secondes. C’est aussi comme ça que les vélos se feront accepter.

Il faut que plus de gens s’y mettent

Si certains cyclistes grillent les feux ou roulent sur le trottoir, c’est d’abord parce que c’est parfois autorisé, mais surtout pour se mettre en sécurité de la circulation motorisée. Un feu rouge signifie souvent qu’on peut rouler tranquille sans personne qui klaxonne derrière soi ou démarre à fond au feu vert. Les feux sont aussi des moyens de réguler le trafic construit pour les voitures : il y a d’autres moyens de faire, comme le “rolling stop”. Un trottoir, c’est la garantie de ne pas avoir un véhicule de 1, 6 ou 10 tonnes qui te dépasse à 50 km/h à 40 cm du guidon. Ce sont des moments de répit dans le vacarme bruyant et dangereux que l’on subit au quotidien.

Malgré tout cela, le vélo reste un formidable moyen de se déplacer de façon rapide, efficace, silencieuse, relativement agréable et peu chère (comparé à une voiture !). En plus cela permet de faire du sport sur son temps de trajet. Plus besoin de café, on arrive à l’heure et en forme le matin ! Et avec le sourire.

J’ai réussi à convaincre deux ou trois amis de s’y mettre quotidiennement. Mais beaucoup rechignent par manque de connaissance (faire du vélo sous la pluie ou sans transpirer, c’est possible !) et surtout, par peur de la circulation motorisée qu’ils subissent déjà en tant que piétons. Pour que plus de monde s’y mette, il faudrait des budgets municipaux et nationaux pour favoriser ce mode de transport du futur. Et pour cela, il faut aussi s’engager, se regrouper et agir…

Hugo, 22 ans, Paris

Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.