AccueilSociété

Témoignage : prof depuis un an, mon équilibre mental est déjà attaqué

Témoignage : prof depuis un an, mon équilibre mental est déjà attaqué

Image :

© jhorrocks / Getty Images

avatar

Par La Zep

Publié le

"Je me suis soudainement emplafonné dans la figure toutes les limites de mon métier et de ma formation."

J’ai eu envie d’être prof à 17 ans. Ça a été un long cheminement. Je n’ai pas d’explication plus précise : je voulais travailler avec les adolescents. Je ne savais pas grand-chose de la pédagogie ou de la didactique, je savais juste que j’aimais l’anglais, que je voulais aider les autres à communiquer, que je voulais partager mon savoir. Avant de travailler au collège, je n’avais pas pris en compte tout l’aspect social du métier, et à quel point il serait épuisant mentalement.

À voir aussi sur Konbini

J’ai obtenu mon CAPES Anglais en 2018, à 21 ans. Et depuis cette année, je suis néo-titulaire dans un collège REP dans l’Académie de Créteil. Je suis devant les élèves 20 h 30 par semaine. Pour une première année, c’est juste énorme. En plus, à côté, je corrige, je construis mes séquences, je les adapte en fonction de ce qui s’est bien passé ou non. Et évidemment, je passe aussi mon temps à faire la discipline pendant et en dehors des cours.

C’est un métier qui prend énormément d’énergie parce qu’on ne peut pas se permettre de se relâcher devant les élèves. Surtout au collège, et surtout quand on est jeune prof comme moi. Les élèves vous testent pour absolument tout et rien : peuvent-ils se lever en plein milieu du cours pour aller à la poubelle sans demander ? Peuvent-ils se permettre de mâcher du chewing-gum ? Peuvent-ils se permettre des commentaires à voix haute sans permission ? Ce sont des choses qui au sortir de la fac me paraissaient anodines, là où on avait liberté de tout. Mais les adolescents ont besoin d’un cadre et de limites, et c’est moi qui me dois de les imposer.

Je ne peux pas être constamment dans le conflit

Puisque je suis nouvelle dans cet établissement, je n’ai pas manqué le petit tour de bizutage des nouveaux : on me laisse gérer cette année la classe la plus difficile du collège. Une classe dont les collègues ressortent régulièrement, après une heure, en larmes. Dans mon cas, en ravalant mes larmes. Je me suis promis qu’ils n’obtiendraient jamais un signe de faiblesse de ma part. Avec quelle naïveté je suis rentrée dans cette classe en me disant pouvoir changer les choses, du haut de mes 22 ans… Je me suis soudainement emplafonné dans la figure toutes les limites de mon métier et de ma formation.

Quand on est prof, on sait qu’il suffit parfois d’un seul élève qui n’a pas envie de travailler pour tout de suite amener une mauvaise ambiance de travail. J’appelle ces élèves des “poudrières”. Parfois, ce sont les élèves qui n’ont pas goût à l’école, ou qu’on ne parvient pas à accrocher au cours qui décident donc de tout faire pour attirer l’attention et déranger le cours. Parfois, ce sont des élèves ponctuels, qui travaillent la plupart du temps, mais qui n’en ont pas envie à cette heure particulière de la journée et provoquent donc un effet boule de neige dans la classe.

Dans cette classe-là, avec ces enfants, j’ai l’impression qu’il n’y a pas de règles. Ils se lèvent constamment en classe, chantent, crient, dansent, se battent, se mettent au sol délibérément, s’insultent les uns les autres, insultent les autres profs en ma présence, parfois même moi. Ils se permettent tout et n’importe quoi, jusqu’à commenter le physique des filles de la classe de manière sexiste et misogyne, jusqu’à m’appeler “la Chinetoque” dans mon dos en pensant que je ne les entends pas.

La moindre remarque est prise comme une confrontation qui se termine par des paroles ou des gestes violents de leur part. Et je n’ai pas la force mentale pour constamment être dans le conflit, j’en ai marre d’avoir sans arrêt les mains dans la boue pour absolument rien.

Ça attaque mon équilibre mental

Alors au final, je laisse. Ça prend juste beaucoup trop de mon énergie. Je me contente de faire travailler ceux qui veulent travailler et j’ignore complètement les autres. Quand ils ne sont pas trop débordants et dépassants.

J’ai des enfants écorchés par la vie avec des profils familiaux chaotiques. Ils ont été abandonnés par toutes les figures adultes présentes dans leur vie et ne savent parfois que répondre par la violence, par l’indifférence, par l’insolence. Et face à ça, qu’est-ce qu’une heure d’anglais dans leur vie ?

Mais ils ont tant et si bien attaqué mon équilibre mental, en seulement quelques semaines, que je n’arrive tout simplement plus à éprouver de l’empathie. Ces enfants devraient être suivis par des éducateurs spécialisés… Mais je sais que je coûte bien moins cher que PLUSIEURS éducateurs. Alors pour cette année, même si je ne suis absolument pas formée pour ça, c’est moi qui me chargerais de leur apprentissage de l’anglais. Et je crois qu’on espère de moi que je m’y habitue.

Je ne le prends pas personnellement lorsque des incidents arrivent dans cette classe, parce que je sais que je ne peux pas changer un système entier, un cercle vicieux. Mais c’est parfois très dur de ne pas tout prendre à cœur, de ne pas tout prendre pour soi, de ne pas se sentir désabusée, en colère, triste et en souffrance de tout ce à quoi j’assiste.

Je n’ai pas envie de renoncer à ce métier, parce que je l’adore. J’y ai consacré cinq ans d’études, et mon année de stage au collège l’année dernière avait renforcé mon envie d’être professeur, pleine d’espoir dans le métier. Je n’ai pas envie de les abandonner, alors que j’aime tant lorsqu’ils comprennent la logique derrière une langue, lorsqu’ils sont fiers d’avoir compris tout un dialogue, lorsqu’ils ont été inspirés par un devoir. Lorsqu’ils me le montrent, lorsqu’ils me le disent, lorsque je fais semblant de ne pas m’attacher à eux.

Tout le métier est dans la communication, mais j’ai l’impression de ne pas être du tout aidée. J’ai l’impression qu’on veut juste tout faire pour que je lâche avant que ma santé mentale ne me lâche. Je tenais donc à écrire ici, à faire des vagues en fait parce que je refuse de me “silencier” face à ce que je subis. Aucun d’entre nous, profs, ne le devrait.

Sophie, 22 ans, enseignante, Paris

Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.