Témoignage : on s’est mariés en prison

Témoignage : on s’est mariés en prison

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© Sara Bentot / Konbini news

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Par Astrid Van Laer

Publié le

D'une relation épistolaire à un mariage derrière les barreaux : Alice et Dre ont accepté de se confier sur leur couple peu banal.

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Le 25 mai 2019, Alice et Dre se sont dit “oui” pour la vie. Pas de robe blanche, pas de buffet, et encore moins d’invités : “En dix minutes, c’était plié”. Il faut dire que la prison du Minnesota où est incarcéré le marié n’a pas l’allure d’une salle des fêtes pour un sou. Malgré tout, le couple a choisi de s’y dire oui, après un an et demi de relation amoureuse. La cérémonie a eu lieu dans la salle d’attente de l’établissement pénitentiaire.

Sur le papier, tout les sépare. Alice, 29 ans, est française, originaire du Var, et tient une fromagerie vegan en Suisse, où elle s’est installée depuis sept ans. Dre, 24 ans, est incarcéré dans une prison américaine. Le jeune homme originaire de Minneapolis, qui a quitté un domicile familial instable à 11 ans pour rejoindre un gang, est passionné de droit. Il sait que son casier judiciaire ne lui permettra pas de devenir avocat à sa sortie, mais il ambitionne de travailler dans ce domaine. Elle, s’intéresse à l’anthropologie sociale, qu’elle a étudiée à Paris.

Contactée par Konbini news, Alice a accepté de nous parler de leur couple singulier et a fait parvenir nos interrogations à Dre, qu’elle a pu lui transmettre lors de leurs conversations téléphoniques. À deux voix, ils nous racontent leur histoire d’amour hors du commun, partie d’une simple lettre.

Tout a commencé il y a trois ans et demi. Alice, une activiste très engagée pour l’abolition des prisons, écoute alors un épisode du podcast This American Life. Dedans, un ancien détenu y explique que la seule chose qui l’a gardé en vie pendant son incarcération, c’était d’avoir un correspondant, simplement quelqu’un à qui parler.

“Je lui ai écrit en lui disant que s’il avait besoin de quelqu’un, j’étais là”

La jeune femme se dit alors qu’elle peut rendre son militantisme plus concret. “J’avais envie de faire quelque chose de tangible, ne pas simplement dénoncer, mais vraiment d’aider une personne détenue”, explique-t-elle à Konbini news. Elle se met donc en tête de développer une correspondance avec un prisonnier. Après quelques recherches, elle choisit les États-Unis :

“Ici, il fallait passer par un organisme, probablement religieux, et je n’en avais pas envie. Et puis, c’était plus simple, là-bas, puisque malheureusement pour eux, les informations des détenus sont publiques et des sites ont émergé pour faire du profit : ils leur proposent de se créer un profil, d’y mettre une description et d’indiquer le type de relation qu’ils cherchent.”

Dre était inscrit sur le site Write a Prisoner, Change a life. Les futurs époux commencent à correspondre. À l’époque, aucune ambiguïté n’est possible : Alice est en couple. “Et puis je ne cherchais pas du tout ça”, affirme-t-elle. Son choix se porte donc sur un détenu qui ne souhaite pas de relation amoureuse et qui n’a pas de photo postée sur son profil :

“Je trouvais ça bizarre de chercher quelqu’un en regardant à quoi il ressemblait. Dre avait mis une description très brève en disant qu’il voulait simplement des amis qui pouvaient le soutenir.

Il disait qu’il était en difficulté mentale et psychologique. Donc je lui ai écrit en lui expliquant que s’il avait besoin de quelqu’un à qui parler, j’étais là.”

En recevant sa première lettre, Dre se souvient qu’il a été “surpris” : “Je n’avais personne qui m’écrivait et je me suis demandé pourquoi une personne vivant en Suisse prenait le temps de m’écrire. Ça a été un sentiment incroyable, car dès la première lettre, elle m’a mis à l’aise”, poursuit-il.

“Je me suis toujours entendu dire qu’avant mes 18 ans, je serais mort ou en prison”

C’est là que tout commence. Pendant six mois, Dre et Alice s’envoient des lettres chaque semaine. Que peuvent donc bien se raconter deux personnes qui habitent à deux endroits opposés du globe et qui ne se sont jamais vus de leur vie ?

Eh bien, c’est comme n’importe qui que l’on rencontrerait à l’extérieur : on s’est raconté nos vies et comme elles étaient très différentes, il y avait beaucoup de terrain à couvrir. On a parlé de tout et de rien”, nous confie Alice.

Dre n’a pas entretenu le mystère concernant les raisons de son incarcération bien longtemps : dès la première lettre, il choisit d’être honnête. “Je vais te dire pourquoi je suis là, car si tu ne me le demandes pas, tu ne pourras pas t’empêcher de toujours te poser la question.” Alice apprend donc que Dre a été membre d’un gang et qu’il purge actuellement sa deuxième peine de prison pour agression avec arme à feu. Il nous raconte :

” Je n’ai aucune excuse pour les choix que j’ai faits dans ma vie, mais je viens d’une famille et d’une communauté brisées. La rue m’a donné plus de stabilité et de buts qu’à la maison.

Ce système rend la vie difficile pour les gens comme moi, rien que pour survivre, sans parler de rester mentalement et physiquement stable. Je me suis toujours entendu dire qu’avant mes 18 ans, je serais mort ou en prison.”

Une fois la glace brisée, ils se mettent très vite à échanger sur des sujets divers et variés.

“Je faisais presque toute la conversation et lui disais ‘hum hum'”

© Sara Bentot / Konbini news

Pourtant, au début, Alice a présumé que leur relation serait très unilatérale : “Je pensais que j’allais lui donner du soutien sans rien recevoir en retour, ce qui ne me posait pas de problème.” Mais, “on a développé une amitié. Très vite, il m’a posé des questions sur ma vie à moi et voilà, c’était parti.” Dre lui parle de ses problèmes psychologiques, de son passé aussi.

“Elle s’ouvrait à moi, du coup, je me sentais assez en sécurité pour m’ouvrir à elle. Je ne suis pas quelqu’un qui se livre habituellement, surtout sur le plan émotionnel”, nous confie-t-il, ajoutant : “elle paraissait gentille et surtout, très différente des gens que je connaissais”.

Et de poursuivre :

“Et encore aujourd’hui, Alice me fait me sentir écouté, compris, entendu, soutenu : comme si mes sentiments comptaient.”

Alice, qui a beaucoup souffert de dépression, se reconnaît immédiatement dans l’histoire complexe de Dre. Rapidement, elle lui envoie des articles qui l’ont intéressée, des livres qui lui ont plu. Leurs échanges prennent une tournure plus profonde. Un jour, il lui demande si elle accepterait qu’ils se parlent par téléphone. Pour elle, les appels sont gratuits, mais pas pour lui.

“À l’époque, il travaillait en tant que cuisinier. Il gagnait 25 centimes de l’heure et il mettait tout son argent dans nos coups de fil. Tous les jours, pendant quelques minutes, on s’appelait, et ce malgré les sept heures de décalage horaire.”

Mais la jeune femme n’avait pas anticipé le fait que si Dre, qui s’est réfugié dans les livres, écrit extrêmement bien, à l’oral, c’est une tout autre histoire. Et pour cause : il est très solitaire et ne reçoit presque jamais de visite. Incarcéré depuis un an, complètement isolé et désocialisé, il n’est plus du tout habitué à discuter. Le jeune homme a beaucoup de mal à converser, poser des questions et encore moins à relancer :

“Maintenant, on en parle et ça nous fait beaucoup rire : je faisais presque toute la conversation et lui disais simplement : ‘hum hum, hum hum’. Et puis, il avait du mal à comprendre mon accent.”

Mais ils s’apprivoisent peu à peu et deviennent rapidement amis. Le compagnon d’Alice, qui était parfaitement au courant de leur relation amicale, n’a jamais été dérangé par cette situation. Lorsque le couple s’est séparé, “c’est Dre qui a ramassé les pots cassés”.

Un an après la première lettre, Alice, qui doit se rendre aux États-Unis pour voir de la famille et des amis, lui propose de faire un stop dans le Minnesota et de venir lui rendre visite. La première rencontre est difficile :

“C’est étrange : on se parle depuis des mois, on connaît tout l’un de l’autre. Et là, c’est le sentiment de se jeter la tête la première, il faut avoir une conversation banale et superficielle avec cette personne assise face à nous, un total étranger que l’on connaît si bien.”

Alice et Dre, Oak Park Heights Correctional Facility, Minnesota, août 2019 © Alice

“Elle m’a regardé de haut en bas et m’a dit : ‘T’es GRAND !'”

Et puis, il est difficile de faire abstraction du milieu carcéral. Alice avait pourtant été mise en garde. Dre l’avait prévenue, et elle avait lu des tonnes de choses sur le sujet, “mais personne n’est jamais prêt psychologiquement pour rendre visite à quelqu’un en prison la première fois, d’autant plus dans une prison de sécurité maximale”. La routine, le processus de sécurité, la manière dont les détenus sont traités, les règles en salle de visite… le choc est brutal pour la jeune femme :

“On peut se faire un ‘hug’ seulement pour se dire bonjour et au revoir, et il ne peut durer que 3 secondes. Avant de le vivre clairement, ce moment où tu te fais hurler dessus par un garde, parce que tu as fait un câlin de 5 secondes au lieu de 3, tu ne te rends pas compte de la violence émotionnelle de cette institution.”

“Assurément, c’était pire que tout ce que je m’imaginais“, se souvient-elle. Ce n’est pas tant l’endroit, qui dans son cas, ressemblait plutôt à une salle d’attente de médecin où les enfants courent. “Rien à voir avec ce que l’on voit dans les films : le parloir avec la vitre, la combinaison orange : dans cette prison il n’y a pas tout ça.” Mais ce sont les règles qui régissent les lieux, qui vont la brusquer :

“On doit rester assis, on n’a pas le droit de se toucher, on reste l’un face à l’autre sans table entre nous. Et évidemment, pas le droit de se toucher ni de se faire la bise.”

De son côté, Dre nous explique qu’il se souviendra toujours des premiers mots qu’ils se sont échangés face à face :

“Elle est entrée dans la pièce consacrée aux visites et j’étais déjà là, assis. Alors je me suis levé, elle m’a regardé de haut en bas et m’a dit : ‘T’es GRAND !”. Ce sera toujours le premier truc qu’elle m’a dit en personne [rires].”

“Il sait que je viens tous les 3 mois, ça le fait tenir et ça le garde stable mentalement”

Alice reviendra plusieurs fois le voir durant son passage dans l’État du Midwest. “Le pire, après, c’est de sortir et de le laisser là. Encore aujourd’hui, à chaque fois, c’est traumatisant pour moi”, regrette-t-elle. À son retour, les appels téléphoniques se poursuivent, se multiplient et les écarts entre les visites rétrécissent. Tous les trois mois, Alice prend l’avion pour venir le voir :

“Lui, il n’a personne dans sa vie, personne qui le tient. Donc on a mis ce truc en place où il sait que je viens tous les trois mois. Ça le fait tenir et ça le garde stable mentalement.”

“Au bout d’un an et demi, à se parler si souvent, on s’attache évidemment, et des sentiments se sont développés de mon côté”, poursuit-elle. Un jour, lors d’une visite, la jeune femme décide d’en parler à Dre :

“Je lui ai dit que j’avais des sentiments pour lui, que ça ne devait rien changer. Il m’a dit que c’était pareil de son côté, mais qu’il ne voulait surtout pas me placer dans cette situation compliquée de compagne de détenu”.

De son côté, Dre savait déjà qu’il était amoureux, mais il “avait trop peur de lui dire” : “Je ne voulais pas l’effrayer”. Alice enchaîne : “On a fait le choix de rester amis et, comme à chaque fois que deux personnes se disent ça, ça ne fonctionne jamais, donc ça n’a pas marché. Ça ne servait à rien d’essayer de prétendre qu’on n’avait pas de sentiments l’un pour l’autre.” “Mais ça a pris des mois”, se rappelle Dre.

Les deux amoureux se sont dit qu’ils allaient laisser les choses se faire et voir comment ça allait se passer. Assez rapidement, Dre explique à Alice qu’il n’a pas d’énergie psychologique à mettre dans une relation qui ne mènerait à rien plus tard. Car la question de la sortie se pose. Surtout qu’elle est proche : la libération de Dre doit avoir lieu en août prochain. Mais ce n’est pas si simple : Alice a toute sa vie en Suisse, Dre sera en probation et ne pourra pas quitter le territoire américain. “Rester ensemble, ça impliquait beaucoup de choses pour chacun d’entre nous”, se rappelle-t-elle :

“On est tous les deux arrivés à la conclusion qu’il serait peut-être mieux de se séparer. On a compris que cette relation serait extrêmement compliquée. Alors, même si on était amoureux, on a baissé les bras en se disant qu’il fallait être réaliste : que ça n’allait pas fonctionner. Mais c’était trop dur de se quitter.”

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Le mariage, “en 10 minutes, c’était bouclé”

Ne parvenant pas à se résoudre à la séparation, Alice envisage finalement de déménager aux États-Unis pour se rapprocher de son compagnon. En février dernier, en salle de visite, Dre se jette à l’eau. Il lance :”C’est vraiment un saut dans le vide et je ne sais plus par quel bout prendre ce problème. Je veux être avec toi et je pense que ça peut fonctionner”. Alice accepte. Trois mois plus tard, le mariage est célébré.

Lorsqu’on l’interroge sur la cérémonie, Alice hésite quelques secondes, puis rétorque simplement : “C’était vraiment un mariage en salle de visite.” Un adjectif pour le qualifier ? Assurément, pour Dre, ce sera, avec humour, “rapide, super rapide”. Malgré tout, c’est “le plus beau jour de sa vie”. Le mariage laïque est célébré par quelqu’un trouvé sur Internet, en présence de deux témoins obligatoires, la mère et le frère de Dre, au beau milieu de la salle commune. “En dix minutes, c’était bouclé”, se souvient-elle.

Pas de repas, encore moins de musique ou d’invités. Dre était vêtu de sa tenue habituelle de prisonnier : un T-shirt et un pantalon de type jean. Il n’aura pas le droit de porter d’alliance. Pour Alice, c’est une robe couleur bordeaux, très simple.

“Il y a tellement de restrictions concernant ce qu’on a le droit de porter que je n’avais même pas une robe blanche, parce que je ne pouvais pas avoir quelque chose de transparent”, raconte-t-elle, avant d’ajouter : “On n’a pas eu le droit de s’embrasser, on n’a pas eu le droit de manger ensemble, ni d’être debout. On était assis l’un en face de l’autre. Ce n’était absolument pas romantique. Mais on a échangé nos vœux en se regardant dans les yeux.”

Du côté de Dre, même son de cloche :

“Dès que ça a commencé, je l’ai regardée dans les yeux et tout du long, j’ai maintenu son regard. Elle est très mauvaise en eye contact, donc je voulais m’assurer qu’elle ne regarderait pas ses pieds le jour de notre mariage [rires] !”

“Ça nous fait rire d’avoir épousé quelqu’un avec qui on n’a jamais couché”

Alice et Dre se sont donc mariés, mais ils n’ont jamais couché ensemble. Car dans la prison de Dre, c’est parfaitement impossible. Alice nous explique :

“Il existe des prisons dans lesquelles il y a des salles de visite où, en gros, les gardes tournent un peu la tête. Évidemment, je ne le ferai jamais, mais je sais que ça se passe comme ça dans certaines prisons. Il existe aussi beaucoup de prisons dotées d’unités de vie familiales.

Mais dans les deux prisons où il a été, il y avait une sécurité très importante. C’est tellement strict qu’il n’y a vraiment aucun moyen d’avoir des relations sexuelles.”

“Puisque tu ne peux même pas te tenir la main, il n’y a aucune chance de faire plus”, poursuit-elle. Et ce n’est pas trop dur ? “Le sexe ? Oh non, ça va. On en rit, mais surtout parce que ça nous fait rire d’avoir épousé quelqu’un avec qui on n’a jamais couché. C’est devenu une blague entre nous.”

“Si on m’avait dit : déjà, que je me marierais, mais en plus avec un détenu, et de surcroît avec qui je n’ai jamais couché, je ne l’aurais jamais cru”, s’esclaffe Alice, qui ironise :

“Sachant qu’en plus, les hommes ne sont pas terribles en sexe, et qu’il faut en essayer pas mal avant d’en trouver un qui sait ce qu’il fait, ça me fait quand même rire [rires]. Mais cette situation est tellement difficile à tous les niveaux, que le sexe, c’est la chose la moins difficile.”

Dre pour sa part, rit et déclare : “J’ai une imagination débordante. Surtout, ce qui me manque le plus, c’est l’intimité, pas le sexe”.

“En juillet, Dre s’est fait poignarder au visage”

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Qu’est-ce qui est le plus dur, justement ? Pour Alice, c’est vraiment “l’incertitude”. Celle de ne jamais savoir si Dre va l’appeler. Car les imprévus sont multiples. Il arrive régulièrement que la prison soit lockdown et que les détenus soient confinés pendant des jours, parfois des semaines, sans contact aucun avec l’extérieur. “Rester sans savoir combien de temps je ne vais pas pouvoir lui parler, ça, c’est très difficile”, nous confie la jeune femme, qui a complètement mis sa vie en pause depuis qu’elle est dans cette situation amoureuse.

S’il l’appelle, même à 2 heures du matin, elle se réveille pour décrocher le combiné. Depuis un an, Dre prend des cours de droit depuis la prison. En cas de lockdown, c’est Alice qui fait le lien et qui prévient l’institut avec lequel il étudie. Tout est en suspens. Et puis, sous supervision en permanence, ils ont le sentiment d’être constamment épiés : “Tous nos coups de téléphone, toutes nos lettres, tout est écouté et lu. On n’a pas d’intimité, c’est hyper difficile.”

Mais surtout, Alice est inquiète, tout le temps. “C’est une incertitude inhérente au milieu carcéral. Quand je parviens à l’avoir au téléphone, si une bagarre éclate, il doit raccrocher immédiatement pour retourner en cellule.” Elle craint sans cesse qu’il arrive quelque chose à Dre :

“Je ne repose jamais mon esprit, car on ne sait jamais ce qu’il peut arriver. Un mois après notre mariage, en juillet, Dre s’est fait poignarder au visage. La prison ne m’a prévenue que 3 jours après, pour me dire qu’il avait été hospitalisé. C’est le genre de trucs que je redoute, qu’il lui arrive quelque chose. C’est très, très, stressant et toute ma vie est tournée vers lui.”

“Mon cerveau oublie un court instant que je suis en prison, quand on discute”

Dre en a conscience : “Je pense que le plus difficile, c’est de savoir que je ne peux pas être là pour elle, quand elle a le plus besoin de moi”, déclare-t-il avant de détailler :

“Je me sens impuissant. Elle s’inquiète beaucoup pour moi et je ne peux pas faire grand-chose pour la rassurer, car la prison est un milieu très violent, je ne peux pas contrôler tout ce qu’il se passe ici. Le plus dur, c’est définitivement de la laisser gérer ça toute seule.”

“La prison a une emprise entière sur nos vies et notre relation”, conclut pour sa part Alice. Malgré ça, ils n’envisagent pas une seconde de se quitter :

“On est responsables, donc on a eu cette discussion avant de nous marier. On savait que ce serait difficile pour nous deux, on connaissait les répercussions sur nos vies et on sait que, même quand il va sortir, la transition sera difficile. Mais on a décidé de sauter le pas en connaissance de cause. Si ça ne va pas, on s’appelle et on se dit : ‘C’est dur pour moi, j’ai besoin de soutien.’ Mais abandonner, ce n’est pas une option.”

Ce qui fait tenir Dre, c’est leur relation. “Mon cerveau oublie un court instant que je suis en prison, quand on discute.” À Konbini news, il explique : “Nos échanges signifient tout pour moi, ça a changé ma vie”.

Quand on lui demande de choisir un adjectif pour qualifier leur relation, il ne parvient pas à en choisir un seul et rétorque : “Saine. Solide. Incassable. Inimaginable. Extraordinaire.” Quant à Alice, il suffit de l’entendre expliquer ce qui l’a fait tomber amoureuse de Dre, de voir comme elle ne tarit pas d’éloges sur son époux, pour comprendre la force du lien qui les unit :

“Déjà, son ouverture d’esprit. Et puis, pardon, c’est ultra cucul, mais pour la première fois de ma vie, j’ai eu l’impression que quelqu’un m’écoutait et était intéressé par moi et comment j’allais. Je n’ai pas l’impression d’avoir eu des relations vraiment profondes, avant.

Avec Dre, les circonstances ont forcément facilité ça, puisqu’on avait que ça, de la communication. Ironiquement, on doit remercier la prison, car si on avait eu le côté physique, on aurait beaucoup moins investi dans notre communication, j’en suis sûre.

Dès le début, et jusqu’à aujourd’hui encore, je me sens écoutée. Ce que je dis et pense a de la valeur pour lui. Je n’ai jamais connu ça avant. Et il aime être challengé mentalement, il aime apprendre, il veut devenir quelqu’un de meilleur. Et ça non plus, je ne l’ai pas vu chez beaucoup de gens avant.”

“Ce 14 février 2020, c’est la dernière Saint-Valentin que je passe sans ma femme”

La réponse de Dre est d’une similarité déconcertante :

“J’ai aimé sa compassion, sa gentillesse, sa patience, son ouverture d’esprit, sa volonté de comprendre la situation des gens, son engagement pour la justice sociale, son honnêteté, sa franchise. Elle est toujours juste et respectueuse, mais elle ne fait pas dans la dentelle [rires]. Elle m’a fait me sentir vu, compris, soutenu et aimé pour la première fois de ma vie.”

En tout cas, une chose est sûre, pour Dre, c’est parti pour durer : “Ce 14 février 2020, c’est la dernière Saint-Valentin que je passe sans ma femme”. Car le jeune homme doit sortir de prison en août prochain.

Pendant un temps, le couple a planifié qu’Alice parte s’installer dans le Minnesota pour un an, la période de probation décidée par le juge. Dre sera en conditionnelle, donc il devra trouver un travail rapidement, “peut-être dans un entrepôt, dans n’importe quel endroit qui accepte des criminels”. Ensuite, ils aimeraient déménager de cet État et Dre voudrait : “Aider des jeunes qui ont des expériences de vie similaires à la mienne, pour les aider, les soutenir et les guider.”

Ce qui le fait tenir jusqu’à sa sortie ? “De penser à notre futur ensemble et à la vie qu’on construit tous les deux”. Dre ajoute, pour conclure : “Je n’avais jamais eu quelque chose que je pouvais attendre impatiemment avant ça, et c’est un super sentiment, même si c’est accompagné d’un peu de pression”.