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Témoignage : mon handicap m’empêche d’être un “vrai mec”, et tant mieux !

Témoignage : mon handicap m’empêche d’être un “vrai mec”, et tant mieux !

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© jurien huggins / Unsplash

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Par La Zep

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Mon handicap m'a évité d'être l'archétype du mec macho, mais je ne résiste pas toujours aux injonctions de la virilité...

Voyez-vous, j’appartiens à l’une de ces minorités visibles au handicap invisible. Par le pouvoir d’un mot, on condamne ma vie. Je suis né pour te surmonter, pour te nommer : myopathie. Peut-être que les gens le verront davantage, si je le dis en poésie ! Je suis un myopathe, un myope apte. Seuls mes ligaments sont inaptes, ils meurent et ne se régénèrent pas. Je suis un myope de la mobilité. Plus le chemin est long, plus mon endurance s’écourte. Ah ! Sensiblerie, ravale tes larmes ! L’arme la plus douloureuse n’est pas la chute, c’était Elle.

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Car, aujourd’hui, je suis tombé. Là, telle une pauvre chose, sur le bord d’un trottoir, rue Saint-Jacques. Et cela peut paraître étrange, mais j’ai ri. Le poing enfoncé dans ma côte droite, le souffle coupé, roulant contre le mur de la galerie d’art près de moi. J’entendais quelques passants alertés demander s’il fallait appeler les secours. J’étais conscient, mais je n’arrivais pas à penser à autre chose, entre deux grimaces, qu’à la potentialité humoristique de ma chute.

J’avais échoué dans mon rôle de mec viril et vigoureux

Elle m’accompagnait. On discutait en rigolant de la phrase qu’une étudiante m’avait dite la veille : “C’est Dieu qui t’a mis sur mon chemin !” Ironie furieuse ou fureur divine, je me retrouve une seconde plus tard étalé sur le chemin d’inconnus. Elle était blême et inquiète, je m’en voulais de lui faire subir ça. L’humiliation publique d’un Icare aux jambes d’argile et aux ailes de bois.

Cette anecdote m’a dès lors rappelé ce témoignage en cours pour la ZEP. J’en avais marre, j’étais blasé, incapable de trouver une chute… “Ça tombe bien en voilà une !”, me répétais-je alors. Je me suis relevé avec de l’aide. Mon amie me tenait. Tout dans ses yeux lisait mon sauvetage, tout dans les miens lisait ma disparition.

J’avais échoué dans mon rôle de mec viril et vigoureux. “Je comprends mieux pourquoi certaines préfèrent les valides…”, lui ai-je ensuite répondu acerbe. Voici le sale petit con à la fierté masculine mal dégrossie. Étudiant en études de genre, gay, queer, je tombe des nues après ma réplique. Triple chute : c’est le médecin qui tire sur l’ambulance et qui dans sa course shoote le patient. Oh mon vieux ! Je suis devenu un mâle blanc cisgenre hétéronormé !

C’est évident, elle me plaît. Sinon aucune raison d’imiter avec aussi peu de finesse le machiste type. Une connaissance m’a dit un jour ces mots : “Tu performes vraiment ton genre masculin ! Tu monopolises la parole.” Ah bon ? C’est ma canne de vieillard de 22 ans, ma démarche digne de la marche de l’empereur ou mon absence de masse musculaire qui lui faisait dire ça ? J’étais stupide. Elle avait raison. Même si auparavant, je ne m’étais jamais considéré comme un mec ; un garçon à la limite.

J’étais devenu un enfant d’intérieur

Le fils handicapé que j’étais a reçu une éducation “féminine”. Moi seul suivais les dix commandements instaurés par mes parents. Être à l’extérieur était synonyme de danger, de chute. L’avilissement pointerait le bout de son nez si je sortais. Alors, on m’a bercé dans la peur du dehors, dans la haine de la liberté conquise.

J’éprouvais de la peur et de la jalousie : j’étais une vésicule biliaire humaine. Je crachais mon fiel comme on crache du venin… Mon petit frère, lui, a été déconsigné très tôt. J’avais cette fausse impression que le monde extérieur n’avait plus de secret pour lui. Son corps robuste, son désir d’homme de conquérir la ville, les routes, les filles, les potes… Tout cela m’était inconnu.

J’avais dressé entre lui et moi le portail de la maison, il cloisonnait nos deux mondes. Moi, j’avais l’espace privé de la maisonnée. J’y régnais avec toute l’arrogance que confère la légitimité. J’étais colérique, orgueilleux et gouailleur. J’étais finalement devenu un enfant d’intérieur.

Si je ne vais pas à l’extérieur, alors l’extérieur viendra à moi ! Je me suis créé un petit cercle fermé de filles de mon âge qui allaient et venaient. Tout le monde trouvait cela extrêmement normal si je dormais avec elles, si nous nous enfermions dans ma chambre… Soit ! Ou ma famille percevait déjà en moi les stigmates de l’homosexualité, ou elle n’avait jamais pensé que je pouvais avoir une sexualité. En tout cas, j’étais le seul à pouvoir ramener le sexe opposé sans suspicion ! Ma chambre aurait pu être animée des plus belles odalisques que personne ne m’aurait accusé de créer un harem. Voilà mon pouvoir : n’était-ce pas là la masculinité ultime ?

Je pensais que mon handicap me rejetait hors du monde

J’en avais marre des mensonges et de la bien-pensance : “Tu n’es pas différent !”, “Tu n’es pas ton handicap !”, “Tu es comme tout le monde !” Bordel, bien sûr que non je ne le suis pas. Et c’est ça qui est beau ! C’est peut-être pour cela qu’aujourd’hui, j’exècre tant l’hypocrisie et la superficialité. Je brille dans la vulgarité et la subversion, finalement j’exulte de liberté reconquise ! Ma normalité est fantomatique. Je ne dois pas montrer que je suis handicapé, faible et fébrile.

Je dois être “normal” sans jamais prétendre à la “puissance du sexe fort”. Qu’ils furent naïfs… J’ai aiguisé ma seule arme : le verbe et je me suis libéré des injonctions féminines, de la masculinité hégémonique. J’ai pioché dans le pot-pourri de ma rage et de mon envie et je me suis façonné par moi-même. Tu m’as donné ta boue, j’en ai fait de l’or.

Petit, je me disais : “À 20 ans ça ira mieux, c’est obligé !” Je me rêvais grand, je me rêvais beau, je me rêvais fort. Mais je n’avais jamais pensé qu’au fond j’avais une masculinité latente. Merde. Comment ai-je pu rater ça, je me le demande.

Mon erreur a été de penser que mon handicap me rejetait hors du monde. C’est faux, j’évolue dans plusieurs sphères sociales, qui sont toutes influencées par des constructions sociales ordinaires. Il est normal que je possède les reliquats d’une masculinité qui a du mal à passer. On a jamais fini de se déconstruire, même avec une côte cassée ! Le patriarcat guette et même nous les gentils petits handicapés, nous sommes dans le lot. Je vois là une expérience rare.

Je ne suis ni mon handicap, ni un mec

Mais qu’en est-il de la femme qui m’accompagnait, me direz-vous ? Oh, elle a ri à mes blagues malgré ma connerie. Et vous savez ce qu’on dit : femme qui rit… Chut ! La ferme ! Chassez ce sexisme que je ne saurais voir ! Trêve de plaisanterie.

Aujourd’hui, j’ai beaucoup appris : j’ai un besoin de me viriliser en présence des personnes qui me plaisent. Je sors le masque et laisse place à l’incarnation. Je me veux sûr de moi, l’échine déployée, le verbe en bouche, le torse sorti, l’air fougueux empli de mépris, dominant et écrasant, bah oui parce que les “vrais mecs” sont comme ça. Mais lorsque je me confronte à l’effort, qu’il soit sportif ou non, le masque a piètre allure, tout juste une écorce vermoulue. En fait, ma masculinité est au mieux celle de l’enfant ou tout au plus celle d’un rouge-gorge trônant, impérial, sur un peuplier. Le masque se brise, l’incarnation prend fin.

Je reste toujours moi-même, le spectacle en moins. J’ai joué ce rôle avec cette fille, je l’ai joué avant aussi, lors d’une partie de billard avec de “vrais bonhommes” qui me trouvaient frêle. J’ai gagné. Surprise, stupéfaction, mais à quoi bon ? J’ai tenu tête, j’ai protégé, j’ai battu et choyé, aimé et haï plus faibles et plus forts que moi, hommes et femmes confondus. Mais à quoi bon ? Être un “vrai mec” pour ne pas être refoulé, pour être celui que l’on peut aimer. Mais j’ai toujours chassé cette laideur sociale et physique qu’est la virilité. Voilà le comble.

Finalement, cette personne avait raison, tel un paon lors de sa parade nuptiale, le Dylan bombe le torse, s’envole, et se ramasse sur le sol. Pourquoi ? Parce qu’à vouloir correspondre à des normes aliénantes, on finit toujours par oublier qui nous sommes. Et moi, je ne suis ni mon handicap, ni un mec : je suis le meilleur des deux.

Dylan, 22 ans, étudiant, Paris

Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.