Témoignage : le jour où j’ai “vu” mon privilège blanc

Témoignage : le jour où j’ai “vu” mon privilège blanc

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© Happiness Distribution / Dear White People (film, 2014)

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Par La Zep

Publié le

Lorsque je me suis rendue à l'exposition "Le modèle noir de Géricault à Matisse", j'ai pris conscience de ce racisme.

Je me rends compte depuis quelques années de mon privilège d’être blanche. En allant au musée, j’ai compris ce que ça voulait dire concrètement pour la première fois.

Aller au musée et à des expositions fait partie de mes habitudes. J’y allais déjà plus jeune, souvent durant les vacances, en France ou à l’étranger, avec mes parents ou ma grand-mère, qui adore Paris, son histoire, son architecture, ses spectacles et ses musées. Aujourd’hui, c’est quelque chose que j’aime faire avec mon amie Fatma.

Un soir de semaine, nous nous sommes donné rendez-vous devant le musée d’Orsay. L’exposition du moment s’intitulait : Le modèle noir de Géricault à Matisse. Les salles étaient pleines à craquer. Classique pour une nocturne. Les œuvres exposées, comme on peut s’en douter, avaient pour modèles des personnes noires, hommes ou femmes, et étaient de courants et d’époques différents.

Certaines toiles étaient engagées, d’autres fantasmaient ces personnes. On pouvait y voir un célèbre tableau représentant l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises. À gauche de la toile, un homme de l’État français sur une estrade annonçant la libération des esclaves, son bras levé en direction du drapeau français. Derrière lui, des hommes blancs observent la scène. Devant, des esclaves se jettent à ses pieds pour le remercier. Un peu sur la droite, une esclave est à genoux devant des “maîtresses”.

Se sentir représenté est un privilège

En avançant de salle en salle, j’avais la sensation qu’il y avait quelque chose de différent par rapport à toutes les expositions que j’avais faites. Alors, je me suis arrêtée. J’ai regardé autour de moi et j’ai compris. Le public. La plupart des personnes présentes ici ne me ressemblaient pas. Elles étaient Noires.

Je me rappelle en avoir fait la remarque à Fatma qui m’a répondu : “Moi, à chaque fois que je rentre dans une expo, je compte les personnes arabes.” Moi, je n’ai jamais fait ça. C’est ça, mon privilège. La couleur de peau blanche est la norme, la référence. Elle domine les autres. Elle ne peut subir les mêmes discriminations et expressions de haine que les autres. C’est le fruit de l’Histoire, la conséquence de siècles d’esclavage, de colonisation, de ségrégation et de génocides.

En tant que blanche, j’étais au courant de faire partie des privilégiés, de la norme. Voir que la moitié du public était noire m’a fait me rendre compte que, d’habitude, il ne l’est pas. Les personnes noires sont si peu représentées dans l’art qu’il est possible d’en faire une exposition. Impossible de faire la même chose avec les Blancs. Nous sommes partout.

Contre le racisme nous pouvons devenir des alliés

J’ai appris, grâce à des podcasts, des livres et les témoignages de mes amis, que le racisme est institutionnalisé : le racisme n’est pas seulement individuel, il est aussi alimenté par le fonctionnement des institutions.

Le contrôle au faciès en est le parfait exemple. Il est bien ancré dans notre société, tout comme le fait de se voir refuser un logement ou un poste en raison de sa couleur de peau. Prendre conscience de ce privilège blanc, déconstruire mes préjugés, est un processus continu. Ce moment au musée y a contribué.

Le meilleur moyen, selon moi, de se rendre compte de son privilège est d’écouter les personnes qui en sont dépourvues. Peu à peu j’ai compris, comme l’a dit Reni Eddo-Lodge, que “le racisme est un problème de Blancs”. En tant que Blancs, nous devons travailler sur nous pour questionner nos visions et perceptions, mais nous ne pouvons pas brandir ce combat et en être des porte-parole.

En revanche, nous pouvons devenir des alliés. Laisser les personnes concernées prendre la parole et leur apporter notre soutien. Et ne surtout pas parler à leur place. C’est ce que je m’efforce à faire, depuis ce jour au musée. Comme donner à lire le livre de Reni Eddo-Lodge à ma mère, être un relais. Et continuer d’écouter la parole des personnes racisées et les soutenir.

J’espère que les Blancs qui me liront réfléchiront à la place que leur offre leur couleur de peau dans notre société.

Mathilde, 23 ans, volontaire en service civique, Palaiseau

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Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.