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Témoignage : “La RATP, un nid de privilégiés ? Quel cliché !”

Témoignage : “La RATP, un nid de privilégiés ? Quel cliché !”

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Ludovic Marin / AFP

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Par La Zep

Publié le

Mes parents bossent tous les deux à la RATP et, dans mon enfance, ça a pesé ! Horaires, salaires, vacances...

Le métro et le RER font partie intégrante de ma vie, puisque mes deux parents travaillent à la RATP. J’ai toujours entendu que les agents de la RATP et de la SNCF étaient des personnes qui profitaient allègrement du système. Mais alors, depuis l’annonce de la réforme des retraites et du mouvement de grève, les critiques fleurissent. “Privilégiés par le système”, on ne voit pas pourquoi ils pourraient partir plus tôt à la retraite, quand d’autres doivent cinq années de plus à leurs boîtes.

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Alors j’aimerais simplement expliquer ce qu’est la vie d’un agent RATP, à travers les yeux de sa famille.

Métro, boulot, marmots puis peut-être dodo

Mes parents sont rentrés à la RATP en 1994, à l’âge de 21 et 22 ans. D’abord comme agents de station, pendant une dizaine d’années, puis en tant qu’agent de contrôle, de sécurité et d’assistance (CSA) pour mon père, et en tant que gestionnaire des ressources humaines pour ma mère. Il faut savoir que les horaires d’un agent de station varient selon le pointage : cela dépend si l’agent est de jour, mixte, ou encore de nuit.

Le jour, l’agent de station travaille de 5 heures 20 à 12 heures 35, en mixte il assure un service de 12 heures à 19 heures 35, et en nuit de 18 heures 05 à 1 heure 30. Je suis la troisième enfant d’une fratrie de quatre. La petite dernière est née en 1996. Dès lors, ma mère a assuré un travail de jour, quand mon père bossait de nuit. Eh oui, il fallait au moins une personne qui soit là la journée, pour s’occuper de nous. Le salaire n’étant pas des plus conséquents, mes parents ne pouvaient pas se permettre d’avoir une nounou ni de nous inscrire à la cantine.

Lorsque l’épuisement physique et psychologique d’un de mes parents pesait trop, ils inversaient les services. Et la pénibilité du travail, je pense que mes parents connaissent. Lorsque ma mère était de nuit, finissant à 1 heure 30, le temps de fermer la station et de rentrer, il était 3 heures 30 du matin. Puisque mon père était de jour, ma mère devait se relever à 7 heures pour nous réveiller et nous emmener à l’école primaire. Une fois rentrée pour la seconde fois, ma mère pouvait dormir jusqu’à 10 heures 30, puis se relever pour nous préparer à manger et venir nous chercher. Ses nuits étaient des siestes de 3 heures çà et là, entrecoupées de la vie de famille.

En 2001, ma mère a changé de métier à la RATP, elle est devenue gestionnaire des ressources humaines dans un secrétariat. Elle assurait le suivi quotidien des agents de station de la ligne 8. Elle indiquait aux agents leur poste, puisqu’un agent n’est pas fixé à une station. Elle assurait aussi le suivi des visites médicales, programmait les inscriptions aux différentes formations, les fiches de paie et le suivi des arrêts maladie. Elle s’occupait également des licenciements… Si l’on fait les calculs, ma mère a eu à sa charge 350 personnes à gérer. C’était lourd de leur annoncer qu’ils ne travailleraient plus pour la boîte. Elle a dû entendre pas mal de gens pleurer.

Le métier de mon père était un métier dangereux

En 2006, mon père est entré au CSA : un groupe d’agents chargés de la sécurisation et de la lutte contre la fraude sur les sites les plus dégradés du réseau, la nuit.

En semaine, mon père travaillait de 19 heures à 2 heures 30. Le vendredi, le samedi et les veilles de fêtes mon père assurait son service de 20 heures à 3 heures 30. C’est un service en une fois, sans coupure. Et la semaine, c’était six jours de travail consécutifs, puis deux jours de repos. Mon père avait son week-end, samedi-dimanche, toutes les cinq semaines. Sinon, ses deux jours de repos étaient répartis dans la semaine. Les week-ends en famille étaient plutôt compromis.

Le métier de mon père était un métier dangereux et très stressant, rythmé par plusieurs accidents pour blessure (coups de cutter, coups de seringue et armes blanches en tout genre). En une soirée, mon père faisait un peu plus de 14 kilomètres de patrouille, sans interruption. En plus d’être un agent chargé de la répression des fraudes, mon père et les agents du CSA étaient chargés d’intervenir sur les agressions et les dégradations quotidiennes dans le métro. Un métier de tensions, avec les fraudeurs tout au long du service.

Le travail de nuit, c’est aussi et surtout un facteur de dégradation de la santé. Chaque semaine qui passait était une charge de fatigue physique, mentale et psychologique de plus en plus pesante. Cela a eu un véritable impact sur la santé de mon père et sur son humeur. Problème de dos, problème de pieds et, surtout, problème de cœur. La patience de mon père, très facilement irascible, n’était pas toujours au beau fixe : il criait beaucoup, n’était jamais vraiment content. Puisque ma mère était passée en horaires fixes en journée, c’est mon père qui était chargé de nous lever à 7 heures du matin, en sachant qu’il rentrait vers 4 heures… Mon père ne se reposait pas plus que ça, et oui, nous, nous étions toujours là.

“Oh non, on ne verra pas nos enfants à Noël !”

Enfin, voici venu le temps des vacances… Tiens donc, c’est bizarre, mais les vacances d’été avec mes parents se déroulaient juste en juin. Ah, c’est vrai, les agents RATP et SNCF n’ont pas trois mois de vacances. Et le service de la RATP étant un service continu, cela veut dire que le jour de Noël, ainsi que le jour de l’An, mes parents assuraient leur service. Eh bien oui, il faut bien qu’il y ait des personnes pour conduire les trains qui vous emmènent voir votre famille ou vos amis. Il faut bien des agents de station pour guider les touristes ou les personnes perdues.

La ligne 1 et la ligne 14 sont peut-être automatisées, mais rappelez-vous que derrière toute machine, il y a un homme pour éviter que ça merde. “Oh non, on ne verra pas nos enfants à Noël !” Ah parce que ceux qui conduisent les trains qui emmènent justement vos enfants chez vous vont pouvoir voir leurs enfants, eux ? Croyez-vous que l’agent chargé de votre FlixBus va, en plus de mettre sa vie en danger pour rouler onze heures d’affilée, pouvoir retrouver sa famille à temps pour la bûche ?

Une heure de vie de couple, ça vous paraît suffisant ?

Mes parents vivaient sous un autre fuseau horaire que le nôtre. Une fois où mon père avait mal réglé un jour de repos sur son réveil, cela a donné quatre personnes habillées pour partir, devant la télé, avec les sacs d’école au pied du canapé. Il était 4 heures du matin et il nous avait réveillés en urgence car “on allait être en retard”. Ça pourrait faire sourire, si ce n’était pas révélateur d’un problème majeur : le dérèglement.

Lorsque ma mère assurait un service de jour et mon père de nuit, ils devaient se voir maximum une heure par jour. Vous croyez sincèrement que c’est suffisant, pour une vie de couple ? Mon père a également fait un infarctus : trop de fatigue, trop de stress et une alimentation qui n’était pas adaptée. Alors, peut-être que ma mère est partie plus tôt à la retraite, mais je crois qu’avec quatre enfants à charge et un travail qui ne fait pas rêver, elle l’a bien mérité. Parce que personne ne souhaite travailler de nuit, personne ne veut vivre en décalage avec les autres humains.

Mon père est aujourd’hui secrétaire général de tout un département RATP et il se bat pour assurer un avenir meilleur aux agents qui seront privés de ces “privilèges” qui, à mon avis, ne sont qu’un juste retour pour le travail rendu. Ah, et pour ceux qui pensent encore qu’un agent de station part à la retraite avec 3 700 euros, j’aimerais simplement vous dire qu’en rentrant à la RATP, un agent touche 1 390 euros net par mois et, au mieux de sa carrière, il touchera 1 800 euros. Alors comment peut-il gagner quasiment le double en partant de la boîte ? Les statistiques que l’on montre à la télé ne comprennent apparemment pas ces 8 000 agents…

Par contre, en ce 41e jour de grève, c’est 2 700 euros qui s’envolent pour mes parents. C’est de la fatigue physique et mentale, des conflits musclés avec les forces de l’ordre, une guerre de communication, un véritable combat. Ouais, ça veut dire que l’on va manger des cailloux, que l’on va devoir se serrer la ceinture, mais si ça permet à d’autres de ne pas connaître cette situation à l’avenir, alors ça ne me dérange pas. Et, avec la soupe de cailloux, l’avantage c’est qu’il y a toujours des restes pour le lendemain.

Lou, 21 ans, étudiante, Nanterre

Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien, comme de toute l’actualité qui les concerne.