Témoignage : je suis handicapée et la ville m’invalide

Témoignage : je suis handicapée et la ville m’invalide

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© Anna Shvets / Pexels

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Par La Zep

Publié le

Le mobilier urbain et le regard des gens me rappellent constamment mon handicap.

Vous savez quoi ? L’activité la plus normale pour vous est devenue la plus compliquée pour moi, à cause de mon handicap. J’ai besoin d’outils médicaux pour m’aider à marcher depuis cinq ou six ans parce que, à 15 ans, j’ai perdu une jambe. Entre mes 15 et mes 18 ans, j’ai vécu deux ostéosarcomes. Tu entends le mot “os”, qui signifie : cancer des os.

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Aujourd’hui, j’ai 20 ans et deux prothèses, interne et externe, à la jambe gauche. Je suis obligée de m’appuyer sur des béquilles. Et m’intégrer dans le monde des valides est un combat constant avec la vie et dans la ville. Car j’habite à Paris, l’une des villes les plus modernes au monde… mais moderne pour qui ?

Vous trouvez ça moderne de rater son train qui arrive dans cinq minutes juste parce que dans la gare où vous êtes il n’y a pas d’ascenseur et que vous mettez vingt minutes à descendre les escaliers ? Pas que dans les gares d’ailleurs ! Quand je descends à République avec mes copines, on tourne en rond pour trouver un ascenseur qui n’existe pas !

Mon problème, c’est la mobilité, mais pas seulement. Il y a aussi le regard des autres dans ces situations.

Les béquilles et mon handicap, c’est alarmant pour les gens

Une fois, dans un centre commercial, avec une copine (portant nos sacs de courses), nous devions descendre des escaliers pour sortir. Il y avait une rampe, j’ai laissé la béquille à mon amie pour m’y accrocher. Soudainement, une passante m’a vue et s’est sentie obligée de m’aider au vu de mon état physique. Les béquilles, pour les gens, c’est alarmant. Et les regards sont très différents les uns des autres…

Je n’ai pas encore essayé les piscines mais je suis allée au spa avec ma mamie et c’était perturbant de se mettre “à nu”, en maillot de bain, dans un lieu public. Heureusement, on était entre femmes ! Je me suis dit : “Je peux le faire, mais il faut encore encaisser les regards.”

Les enfants sont les plus insistants. Et ils disent tout haut ce que les gens pensent tout bas. Je pense que ça vient du manque de sensibilisation dans les écoles et les collèges. C’est inacceptable. Pour les adultes, c’est une sorte de curiosité enfantine. Du coup, se balader avec moi peut être gênant. Les gens ont tendance à vouloir savoir ce qui m’est arrivé, inconsciemment ou pas.

“Vous êtes tombée au ski mademoiselle ?”

Une fois, dans la rue, on m’a abordée par surprise : “Qu’est-ce qui vous est arrivé ? Vous êtes tombée au ski mademoiselle ?” Ce genre de questions… c’est une atteinte à ma vie privée, même si ça peut partir d’une bonne intention. Et ça participe à me différencier des gens, alors qu’à une personne “normale”, on ne lui dirait rien. Parfois, la question se lit directement dans leur regard, selon la persistance…

Ce sont ces regards qui m’intimident et font ressortir mes émotions. Où que je sois, je ne peux pas passer inaperçue. Même dans une foule de gens… Et je me demande : “Pourquoi ce n’est pas comme avant ?” Pour s’accepter, il est important de bannir ce genre de pensées qui nous rongent de l’intérieur et peuvent se transformer en émotions qui nous affaiblissent, telles que les pleurs. Mais j’aime tellement la vie que j’ai décidé de relever la tête, de lire des livres et d’écouter des podcasts sur le développement personnel. La minute de méditation m’a énormément aidée par exemple !

Je ne peux pas changer mon physique, mais ma mentalité oui. Ça m’aide à compenser ces regards et à m’autoriser à faire des choses que tout le monde fait, à être dans “la norme”.

Marriah, 20 ans, en formation, Paris

Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la zone d’expression prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.