Témoignage : je suis confinée avec un boomer… mon père

Témoignage : je suis confinée avec un boomer… mon père

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© Nenad Stojkovic / Flickr

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Par La Zep

Publié le

Le temps du confinement, je suis retournée chez mes parents.

J’ai choisi de passer mon confinement avec mes parents. C’est une chance de pouvoir se retrouver en famille, je le sais, mais mes parents m’ont eu relativement tard, alors entre nous, il y a un fossé générationnel. Surtout entre mon père et moi. Lui, c’est vraiment un “boomer”, de ceux de la génération du baby-boom d’après-guerre.

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J’habite à plus de quatre heures de train de mes parents, donc en temps normal, la cohabitation, c’est juste un week-end par mois, ça passe vite. Maintenant qu’on est en quarantaine et que ça va sans doute durer vachement de temps, je me dis que ça ne va pas être facile tous les jours. Il va falloir s’adapter et trouver des parades.

Je fais partie d’une génération assez ouverte. Je suis sensibilisée à beaucoup de questions, comme le féminisme et la lutte contre les LGBTphobies. Mon père, lui, est à des années-lumière de ça et dans nos discussions, ça peut vite poser problème.

On a beaucoup de sujets de désaccord, que j’essaie d’éviter soigneusement si je veux passer un repas apaisé. Mon préféré : le féminisme. La dernière discussion en date : l’impunité des artistes en France. J’ai évoqué à table mon incompréhension face au fait qu’en France, on continue à encenser des hommes et à leur donner une audience importante, en sachant les horreurs qu’ils ont commises. J’ai eu droit à des réponses inacceptables, sur le fait qu’il fallait laisser une deuxième chance à Cantat, qui ne s’est pourtant pas repenti publiquement de son féminicide…

Répondre par “OK boomer” ? Il ne comprendrait même pas

Bref, chaque discussion avec mon père me donne envie de mettre fin au dialogue par un “OK boomer”, qu’il ne comprendrait même pas. Heureusement, je passe le plus clair de ma journée en télétravail et on ne partage finalement que les repas. Je ne pourrais pas supporter plus.

Il y a quelques jours, je lui parlais d’une de mes amies trans rejetée par sa famille. Il a choisi de ramener ça à un film qu’il avait vu sur l’homosexualité, car pour lui, transidentité et homosexualité, c’est à peu près la même chose. Il était content de me dire que dans ce film il y avait “un personnage homosexuel et que c’était vraiment la folle, tu comprends, hyper efféminé !”

Bon déjà, si on pouvait dire “maniéré” au lieu d'”efféminé”… Et entendre parler de “folle” pour un homosexuel maniéré, ça m’a fait chier. On n’est plus dans les années où les films comme La Cage aux folles étaient permis ! On est en 2020, on devrait être passé à autre chose et sortir des clichés. Ça m’a agacée, mais je n’ai pas cherché à en débattre.

Une autre problématique : les modes de consommation. Mon père avait un bon d’achat à dépenser à Carrefour et c’était le dernier jour d’utilisation. Donc, même en période de confinement et même s’il n’avait pas besoin de faire les courses, il est allé au supermarché pour le dépenser. Il a l’habitude de faire des petites courses tous les deux-trois jours et il a fallu quasiment me battre pour lui faire comprendre que non, en fait, ce n’était pas possible.

Chaque sortie qu’il fait conduit à prendre des risques en plus, pour lui, ma mère, et moi… qui sommes des personnes à risques. Juste pour gagner quelques euros… J’étais dubitative. S’il a peur de manquer de viande et de produits frais, on a un congélateur où on peut stocker !

Je ne consomme pas moins que mon père, mais nous consommons différemment. Je ne cours pas après les promotions des catalogues de grandes surfaces pour faire des stocks en fonction de ça. En fait, je suis plus attachée à la qualité de ce que je consomme qu’aux bons plans.

Je m’approvisionne principalement dans une épicerie de vrac toutes les deux semaines et dans une boutique de fruits et légumes de saison, principalement locaux, une fois par semaine – même s’il m’arrive d’aller dans de plus grosses enseignes pour certains achats spécifiques, comme les conserves.

Si je me sens agacée, j’écourte le repas

Mon but n’est pas de faire un “procès aux boomers”. Je comprends très bien que sa génération a vécu dans une société de consommation et que, pour eux, l’opulence dans les supermarchés a été vécue comme une aubaine, car ce sont des enfants nés juste après la guerre. Aujourd’hui, d’un autre côté, on a accès à l’information. On est au courant que nos modes de consommation nous mènent droit dans le mur, qu’être homophobe, transphobe, n’est pas acceptable. Ça témoigne bien de l’incapacité complète à changer ses habitudes.

Le confinement avec un boomer, ce n’est pas facile. Ce n’est pas en quelques semaines de confinement que nous allons changer, lui comme moi. En même temps, c’est peut-être l’occasion d’ouvrir le dialogue. J’ai réussi sur certaines choses. Je suis parvenue à lui faire accepter d’arrêter d’aller faire les courses trop fréquemment.

C’est déjà une grande victoire, mais je ne sais pas si c’est mon insistance lourde sur le sujet qui a porté ses fruits ou l’augmentation constante du nombre de morts. Peut-être que la prochaine étape sera de lui faire comprendre qu’on n’accepte pas le terme “efféminé” pour parler de quelqu’un de maniéré et qu’on n’utilise pas les termes “folle” ou “pédé” ?

La cohabitation par omission, ça marche

De manière générale, j’apprends à mieux m’adapter, pour que la cohabitation ne se passe pas mal. J’évite les sujets de discussion qui peuvent le conduire à dire des propos que je n’accepte pas ; ça m’évite d’avoir à prendre sur moi pour ne pas m’énerver. Si je me sens agacée, j’écourte le repas, puisque ça reste le seul moment de la journée qu’on passe ensemble.

Je sais que je ne changerai pas d’avis sur ce qui me tient à cœur et je sais qu’il ne changera pas, donc autant limiter les sources d’énervement. Finalement, ma stratégie d’adaptation est une stratégie d’évitement. En période de confinement, où on est obligés de vivre ensemble, c’est la gestion de conflit qui m’a semblé la mieux adaptée.

Judith, 27 ans, salariée, Nantes

Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.