Témoignage : ce n’était pas un viol, me dis-je parfois

Témoignage : ce n’était pas un viol, me dis-je parfois

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© Ian Dooley / Unsplash

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Par La Zep

Publié le

Parce qu'on était en couple pendant deux ans, je n'arrive pas à poser les mots sur ce qu'il m'a fait endurer.

En recherche d’une stabilité émotionnelle, cette jeune femme a écrit ce témoignage après deux ans de relation abusive avec un homme. Son propos reflète sa difficulté à poser des mots sur les violences sexuelles que son ex lui a fait subir. Elle en décrit les conséquences : culpabilité, honte, baisse d’estime de soi, amnésie, peur du contact physique. Elle ne veut en aucun cas relativiser la violence de sa relation passée, comme celle des femmes concernées qui pourraient encore la vivre.

N’hésitez pas à appeler le 3919 (Violences femmes info) si vous vous sentez concernée ou si vous êtes/avez été victime d’autres formes de violences.

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Ce n’était pas un viol, me dis-je parfois, mais ce n’était pas consenti non plus. Je ne me souviens à aucun moment avoir lâché prise. Toujours, pendant l’an et demi qu’a duré ma sexualité avec lui, j’ai cherché où était mon plaisir, je me suis concentrée sur la moindre sensation que j’avais, en sentant bien que j’étais en train de simuler pour lui faire plaisir. Jusqu’à ce qu’il jouisse dans une grimace et un cri dégoûtant et décalé. Je ne me sentais jamais pleinement dans le moment, j’étais toujours à anticiper sa jouissance ; et la mienne, lorsqu’elle arrivait, n’était jamais satisfaisante à cause de tout le simulacre qui avait précédé.

Je me forçais clairement à apprécier, maintenant que je regarde en arrière. Sur le moment, peut-être que je réussissais à me persuader, en tout cas suffisamment pour avoir le rapport sexuel dont il était inlassablement, quotidiennement demandeur. Il s’acharnait lorsque je disais “non” jusqu’à ce que je finisse par céder, sans dire oui.

Mon ex, celui avec lequel j’ai vécu une relation de presque deux ans, a été mon violeur, sans l’être. Il était en constante demande de choses qui m’effrayaient. Il voulait que je lui donne mon consentement pour qu’il me le fasse dans mon sommeil, il était en demande de nudes, mais refusait catégoriquement de m’en envoyer, il adorait que je ne porte pas de culotte, me caressait en public de manière gênante. Il voulait avoir des rapports dans toutes les situations possibles, dans toutes les pièces et il pouvait avoir des gestes violents (rien qui ne me blesse, mais toujours avec une aura malsaine de soumission).

Certains souvenirs sont extrêmement flous : ai-je oublié des choses graves ?

Quand je n’avais pas envie, je finissais toujours par céder parce que “non” n’était pas une réponse qu’il acceptait quand il en avait envie. La première nuit que j’ai passée chez lui, où nous n’étions pas encore ensemble, il m’a caressé le corps, les seins alors qu’il croyait que j’étais endormie. J’ai eu peur et n’osant protester, j’ai fait semblant de me réveiller. Ça se voyait que j’étais intéressée, que je voulais sortir avec lui, mais on ne caresse pas une fille dans son sommeil si on n’a pas eu la preuve qu’elle était ouverte à ce genre de choses. Il a failli me pénétrer de force, alors que j’étais encore vierge et qu’on s’aventurait petit à petit sur la voie de notre sexualité. J’ai dû le gifler pour qu’il ne le fasse pas. Il me suppliait littéralement de le “laisser rentrer”.

Certains souvenirs sont nets, d’autres extrêmement flous. Tout s’est effacé très vite lorsque j’ai mis un terme à cette relation toxique. Ça me fait très peur. Est-ce que j’ai oublié des choses graves ? Je ne pense vraiment pas, mais j’aurais aimé avoir plus d’éléments pour analyser et me dire clairement que c’était un viol.

Muriel Salmona est psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie. Dans un entretien accordé à France Inter, elle aborde l’amnésie traumatique, un mécanisme du cerveau qui nous fait oublier des violences subies.

Ça m’a laissée dans un entre-deux. À présent, je suis incapable de dire quand je veux. Même quand mon corps m’envoie des signaux, mon cerveau a tellement mal vécu cette sexualité exacerbée et imposée – que j’avais acceptée à demi-mot parce que j’avais peur d’être quittée et de ne plus jamais être aimée – que, avec mon nouveau copain, j’ai toujours du mal à capter une pensée claire qui me dise : “Oui, je veux faire l’amour maintenant, je veux qu’il me touche.”

Tout était ambigu avec lui

J’ai vécu cette relation de presque deux ans comme un viol. Il me faisait toujours sentir que j’étais nulle, que mes amis étaient ennuyeux, mes parents détestés. Quand je buvais de l’alcool en soirée, il désapprouvait en lâchant des phrases presque moralisatrices. Je m’excusais tout le temps, parce que ce n’était pas envisageable que j’aie raison. Il trouvait toujours une critique à tout ce que je faisais, toutes mes passions ou presque étaient inintéressantes, même mes études, il les dévalorisait. Parce que le droit, ce sont des avocats ou des juristes et que “ces derniers sont tous forcément véreux…”

Dès qu’il m’accompagnait quelque part où l’on retrouvait mon cercle d’amis ou mon “terrain”, et pas le sien, il mettait tout le monde mal à l’aise. Particulièrement ma famille qui, pourtant, a vraiment essayé de l’accueillir et de nouer contact avec lui.

Tout était ambigu avec lui. Il pouvait se montrer doux, compréhensif, me soutenir… D’un autre côté, il ne pensait vraiment qu’à lui. Il ne m’a offert que très peu de cadeaux, il ne prenait pas d’initiatives, il faisait tout pour me forcer à assumer des choix, dont je lui avais fait part entre quatre yeux, devant du monde, alors que je ne voulais pas les dévoiler.

Le plus blessant sur le long terme, c’était cette sexualité oppressive. Je découvrais la sexualité pour la première fois, j’avais très peu confiance en moi, je complexais sur mon poids, mon physique, mon petit côté coincé. Au départ, il faisait attention car c’était mes premières fois, puis cela s’est dégradé pour atteindre un climat plus proche du porno, dont il était extrêmement friand. Il voulait vraiment que notre relation ressemble à du porno, je crois. J’ai voulu me dévergonder, mais ça m’a vite déplu et je me suis retrouvée coincée. Je jouais à l’adulte.

Il me touchait tout le temps de manière sexuelle. Dans mon sommeil, dans le métro, dans les boutiques. Quand je faisais du piano aussi, dans la cave, chez mes parents. C’est un souvenir que je déteste, il m’a fait jouir alors que je jouais et je trouve ça dégueulasse. Tout le temps, par messages, du sexe. Je ne réussissais pas à l’arrêter. Au départ, ça me plaisait, puis quand j’ai voulu lui signifier que c’était trop pour moi, c’était impossible de faire machine arrière.

Je m’en veux de ne pas avoir de “sexualité normale”

Il a tué mon désir. Je passe souvent par des phases où je ne veux plus qu’on me touche de manière sexuelle. Au départ, dans ma relation avec mon nouveau copain j’étais dans le même schéma et j’ai recommencé à céder aux envies. En fait, je ne discutais même plus. Il me caressait ? Allez, tout de suite je me laissais faire, même si je n’en avais pas envie. Je n’avais plus envie de rien, mais j’agissais comme si j’en avais envie, par habitude.

Les Résilientes est une association qui aide celles et ceux qui ont vécu un viol ou d’autres formes de violences sexuelles. Dans ce reportage de ‘Konbini news’, quatre femmes témoignent de leur reconstruction.

J’ai fini par parler de ce que j’avais subi, à ma sœur d’abord, qui m’a confirmé que mon ex avait de sérieux soucis, que oui, il était très malsain et que ce que j’avais vécu s’assimilait à du viol, alors même que je ne réussis pas à me le dire comme ça, parce que je me sentais manipulée.

J’en ai parlé à mon copain actuel qui a été extrêmement compréhensif. J’ai l’impression que je lui fais subir ce que j’ai vécu. On n’a pratiquement plus aucune relation. Il sait ce que j’ai vécu et ne me blâme pas. Il est vraiment très précautionneux avec mon consentement. Mais je m’en veux terriblement de le forcer à l’abstinence pendant de longues périodes. J’ai l’impression que c’est ma faute. Je culpabilise.

Même s’il m’affirme qu’il le vit bien, que ça ne le dérange pas, je m’en veux de ne pas avoir de “sexualité normale” – même si, à force de discussions sur la sexualité avec de nombreuses personnes, je sais que la “sexualité normale” n’existe pas. Quand il commence à me toucher, je repense aux incessantes intrusions de mon ex dans mon intimité corporelle, de sa surdité à tous les signaux, de son incapacité à comprendre que je ne veux pas après avoir refusé une fois, deux fois, trois fois…

J’ai vécu – cela, par contre, j’en suis convaincue – une relation toxique, où mes désirs et mes besoins étaient complètement mis de côté et ignorés. Cela m’a marquée et j’angoisse à l’idée de vivre à jamais avec ces cicatrices, de ne jamais retrouver une libido qui s’exprime sans que mon cerveau ne s’alarme. J’angoisse à l’idée de ne pas pouvoir laisser mon copain me caresser, m’enlacer. J’ai été tellement marquée par le non-respect de mon intégrité corporelle que le moindre contact devient une intrusion qui me met aussitôt sur la défensive.

J’ai eu envie de m’arracher la peau

Pendant un an, je suis restée avec le sentiment que mon corps entier, parce qu’il avait subi ces caresses obscènes, parfois perverses ou vulgaires, me dégoûtait. J’ai détesté mon corps d’avoir supporté cela. Ces caresses, ces baisers me dégoûtent et plus d’une fois, j’ai eu envie de m’arracher la peau à cause du souvenir sensoriel, de l’aura que je ressens sur moi. J’ai l’impression d’avoir été tachée de ce que l’on peut imaginer de plus sale. J’ai l’impression d’avoir été recouverte d’une sorte de pourriture humaine, d’être écorchée.

C’est une situation difficile à vivre, cette sorte de viol sans pénétration forcée, sans violence. J’ai été attouchée dans un contexte où mon persécuteur jouait avec mes sentiments, me manipulait pour me soumettre.

Parfois, je réussis à me dire que j’ai été violée dans une forme “externe à la pénétration”. D’autres fois, non, il est plus fort, il gagne et je me dis qu’après tout, j’ai tout accepté, je ne me suis pas débattue. Après tout, notre relation a duré presque deux ans. Je ne suis pas partie, voilà ma part de tort dans l’affaire. Je suis coincée dans cet entre-deux, je ne suis toujours pas capable de savoir ce que j’ai vécu, de le qualifier, même si je ressens ce profond dégoût.

Des feuilles mortes dans mon sillage

Deux ans plus tard, ça va mieux, mais il m’arrive encore de regarder mes bras, mes seins, mes jambes et de vouloir quitter ce corps. Je voudrais le rencontrer, mais je sais pertinemment que ça ne servirait à rien. Lorsqu’on s’est quittés, il l’a mal vécu. Ça l’a rendu très triste, mais il n’a pas réussi à se remettre en question. Il me disait qu’il changerait, mais il ne parvenait même pas à écouter ce que je lui disais.

Encore une fois, il niait mon besoin, mon envie, jusqu’à nier comment je me sentais. Je ne lui avais pas parlé du sexe ou très peu et aujourd’hui, je pense que si on en parlait, on aurait deux visions très différentes. Car c’est sa manière de vivre et donc son référentiel. Le mien et le sien ne concordent pas.

Tout ce que je sais, c’est que je ne veux plus vivre ça. Mais je continuerai à le traîner derrière moi. C’est vraiment cette image des feuilles mortes dans Cyrano de Bergerac qui me vient à l’esprit :

“Un bruit d’illusions sèches et de regrets,
Comme, quand vous montez lentement vers ces portes,
Votre robe de deuil traîne des feuilles mortes.”

Peut-être aurais-je pu ne pas le vivre, m’exprimer, y mettre fin, mais je l’ai enduré et maintenant je le regrette. Je vais faire ce qui est en mon pouvoir pour être en paix avec mes feuilles mortes, mais elles seront toujours quelque part dans mon sillage. Et je lui en veux pour ça.

Mathilde, 22 ans, étudiante, Paris

Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la zone d’expression prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.