Reportage : au cœur du 119, le numéro d’urgence pour l’enfance en danger

Reportage : au cœur du 119, le numéro d’urgence pour l’enfance en danger

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Capture site du 119

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Par cquineau

Publié le

700 appels sont quotidiennement passés au 119. Au bout du fil, les écoutants se relaient pour recueillir la parole des mineurs.

À l’occasion des 30 ans de la Convention internationale des droits de l’enfant, France Inter et Konbini s’associent à l’UNICEF et consacrent une journée spéciale : “Les enfants d’abord !”

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Le chiffre est glaçant : en France, un enfant est tué par l’un de ses parents tous les cinq jours, selon une étude de l’Igas (l’Inspection générale des affaires sociales) publiée en avril dernier. L’un des premiers remparts au fléau des violences faites aux enfants est le 119. Ce numéro gratuit, “Allô enfance en danger”, fonctionne 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 depuis 1990. Sous l’autorité du Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger (Snated), le 119 reçoit plus de 700 appels par jour. En première ligne, les écoutants recueillent les témoignages de mineurs en danger ou risquant de l’être. Reportage.

C’est dans le nord de Paris, dans le XVIIe arrondissement, à deux pas du boulevard périphérique, que le Snated a pris ses quartiers. Sur deux niveaux, près de 45 “écoutants”, des professionnels de la protection de l’enfance (psychologues, juristes, travailleurs sociaux) formés spécifiquement à l’écoute, se relaient tous les jours de l’année. Ici, de jour comme de nuit, les enfants en danger sont la priorité. Tout le monde peut composer ce numéro d’urgence, aussi bien des mineurs que des adultes ayant connaissance d’un cas de maltraitance.

Plus de 700 appels traités par jour en 2018

Avant que l’appel n’arrive aux oreilles des écoutants, un duo de professionnels de la téléphonie accueille les appelants. Situés dans un bocal vitré faisant face au plateau d’appel, les agents du pré-accueil vérifient que les appels sont bien du ressort du service.

“Nous recevons au pré-accueil plus de 700 appels par jour, mais tous ne justifient pas un transfert aux écoutants, explique un agent. Sur ces 700 appels, environ 93 sont par la suite traités par les écoutants. Nous devons faire face à des appels farfelus, des erreurs. Ce tri est indispensable pour une meilleure efficacité.”

Dans ce flot d’appels en continu, le mineur “appelant” est prioritaire sur tout le reste. L’année dernière, 16,6 % des appelants qui ont contacté le 119 étaient mineurs – un chiffre en hausse constante.

La détresse d’une mère

Sur le plateau d’écoute, à 15 heures, six écoutants relaient l’équipe du matin. C’est le cas de Cyril, 28 ans, agent d’écoute depuis quatre ans et demi. La journée de ce juriste de formation commence par l’appel d’une mère d’une petite fille de 4 ans. Au bord des larmes, la maman se plaint de l’attitude du père, dont elle est divorcée. Au fil des minutes, le pire se dessine. La fillette s’est plainte à sa mère du comportement de son père lors de la toilette du soir, au cours de laquelle il se doucherait nu avec sa fille.

À l’autre bout du fil, Cyril reprend les éléments les uns après les autres : “Redites-moi précisément, avec les mots de votre fille, ce qu’elle vous a dit ce jour-là. L’écoutant apprend alors que la petite fille consommerait de l’alcool, que son père l’emmènerait sur des chantiers et qu’il l’aurait agressée sexuellement sous la douche. Une note sera envoyée le soir même aux services sociaux du département où vit le père.

Plateau d’écoute des agents du 119. (© Clément Quineau/Konbini news)

Hausse des informations préoccupantes

Après avoir pris connaissance du cas de cette maman et de sa fille, l’agent d’écoute écrira un rapport catégorisé comme “information préoccupante”. Celui-ci sera ensuite transmis à l’une des Cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP) mises en place au sein des conseils départementaux. En 2018, le 119 a transmis aux CRIP 17 013 informations préoccupantes (soit une hausse de 36 % en sept ans). Dans les cas les plus extrêmes (dangers graves et immédiats, crises familiales, fugues, tentatives de suicide), les écoutants sont en capacité d’appeler les services d’urgence. L’année dernière, c’est arrivé un jour sur deux.

La plate-forme téléphonique donne aussi une vision de la maltraitance des mineurs en France. Les plus de 35 000 appels reçus chaque année par le 119 sont un reflet des maux de la société. Les principaux dangers auxquels sont confrontés les mineurs sont les violences psychologiques (29,1 %), les négligences lourdes (22,7 %), les violences physiques (20 %), les violences au sein du couple (9,5 %), les conditions d’éducation compromises (9,5 %), un comportement de mineur se mettant en danger (5,5 %) et enfin les violences sexuelles (3,6 %).

La force de la confidentialité des appels

Gratuit, confidentiel et n’apparaissant par sur les factures de téléphone, l’appel au 119 est un moment secret qui appartient aux écoutants et aux appelants. Ces atouts favorisent la mise en confiance des appelants, surtout les plus jeunes. Comme pour ces deux jeunes filles de 12 ans qui appellent pour relater la situation d’une de leur camarade. Siriane, une psychologue avec cinq ans d’écoute derrière elle, se charge de répondre. Le début de la conversation est hésitant : “Souvent les plus jeunes ont peur, ils ont besoin d’être rassurés.”

Au fil des minutes, la conversation devient plus fluide mais les faits reprochés au père de la camarade restent flous. Siriane fait le point avec les jeunes filles et rappelle un point fondamental d’un appel au 119 : “Il n’est pas demandé de prouver mais simplement d’apporter les éléments de doutes que l’on a sur une situation. La conversation en restera là, avec la promesse que la jeune fille concernée rappellera d’elle-même.

Objectif : zéro appel sans réponse

Aujourd’hui, deux tiers des appels entrants font l’objet d’une invitation à rappeler et ne sont donc pas traités immédiatement. Parfois, l’attente pour certains appels dépasse les 45 minutes. Une situation qui s’explique par un manque d’effectifs.

Il y a généralement six écoutants en même temps sur le plateau d’écoute en journée – et deux la nuit. Tous les agents sont à mi-temps. “Les appels reçus ici sont très impactants. Même si les agents sont formés près de 70 heures avant d’intervenir, il serait difficile d’enchaîner des semaines pleines”, explique Violaine Blain, directrice du GIP Enfance en danger.

Pour répondre au manque de moyens de la plate-forme et au nombre croissant d’appels, un budget de 400 000 euros pour 2020 sera attribué au 119 (soit une hausse de 8 %). Concrètement, cela permettra le recrutement de cinq postes d’écoutants spécialistes et de trois cadres pour fluidifier leur travail. Le but est de rendre plus efficace le centre d’écoute, et d’atteindre l’objectif de zéro appel sans réponse.