Religieuses agressées sexuellement, les autres victimes du rapport Sauvé

Religieuses agressées sexuellement, les autres victimes du rapport Sauvé

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Thierry Zoccolan / AFP

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Par Pauline Ferrari

Publié le

"Comme pour les mineurs agressés, il ne s’agit pas que de quelques cas de 'brebis galeuses', mais de quelque chose de systémique".

Le nombre de religieuses “vulnérables”, victimes d’agressions sexuelles, n’a pu être évalué dans le rapport Sauvé sur la pédocriminalité dans l’Église. Pour autant, ce dernier montre combien les situations d’isolement et d’emprise dans les communautés peuvent conduire à des dérives.

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Le président de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase), Jean-Marc Sauvé, en présentant son rapport mardi, l’a assuré : le sujet des majeures vulnérables agressées – essentiellement des religieuses – “n’a pas du tout été négligé”. 

L’estimation réalisée par l’Inserm (un sondage sur un échantillon de 28 000 personnes) n’a pas pu chiffrer le nombre de victimes – “une personne vulnérable peut-elle se déclarer comme telle ?”, souligne M. Sauvé. Mais à regarder le contenu des 45 préconisations, leur problématique a été associée à celle des mineurs.

Par majeure “vulnérable”, la Commission a entendu “toute personne se trouvant engagée dans une relation sexuelle non librement consentie dans le cadre d’une relation de hiérarchie, d’accompagnement spirituel ou d’emprise.” Pour mieux connaître les ressorts de ces violences, l’institut de recherche a procédé à des entretiens détaillés auprès de 12 religieuses agressées.

“Comme pour les mineurs agressés, il ne s’agit pas que de quelques cas de ‘brebis galeuses’, mais de quelque chose de systémique”, affirme à l’AFP Julie Ancian, sociologue à l’Inserm, qui a mené ces travaux, relatés en une centaine de pages dans le rapport. Notamment parce que les religieuses présentent des particularités. “Elles sont d’abord doublement exposées aux violences, à la fois comme femmes et, d’une certaine manière, comme des enfants car de par leur statut, elles sont infantilisées par les règles auxquelles elles doivent se plier dans leur communauté”, affirme la chercheuse.

Elles sont en outre “extrêmement isolées ; en général elles se sont coupées de leur famille et n’ont pas d’amis en dehors de leur communauté”. S’ajoute à cela le fait que c’est souvent “un prêtre ou le responsable de la communauté qui est l’auteur des violences – vu comme un ‘saint’, avec une énorme influence sur les membres de la communauté. Il est extrêmement difficile de le dénoncer”.

Sans ressources, les religieuses sont en proie à la manipulation

Dans certains cas, “‘il n’y a eu aucun mécanisme de surveillance, de contrôle” et “des hommes se sont trouvés être des tout-puissants”, affirmait récemment Véronique Margron, la présidente de la Corref (instituts et congrégations religieuses). Autre caractéristique, selon Julie Ancian : ces religieuses “sont beaucoup surveillées, certaines communautés ont des fonctionnements qui relèvent de dérives sectaires avec des techniques de manipulations psychologiques”.

Enfin, élément particulièrement important : dans ces communautés, ces religieuses “font le vœu de pauvreté, donc elles se défont de tout ce dont elles possèdent. Le jour où elles sont exposées à des violences et voudraient quitter leur communauté, elles sont dénuées de ressources. C’est extrêmement difficile pour elles de s’en sortir. Si elles parviennent à quitter leur communauté tout est à refaire ; se soigner, trouver un logement, un travail…”

Un constat dressé par Caroline Pierrot, présidente du collectif Espérance résilience et qui a témoigné devant la Ciase. Entrée dans la communauté des Béatitudes lorsqu’elle avait 20 ans, elle a témoigné de son agression par un prêtre. “Quand je suis entrée dans la vie religieuse, j’ai tout donné. En sortant, je n’avais rien, je n’avais même plus de Sécurité sociale”, témoigne-t-elle à l’AFP.

Au-delà du rapport Sauvé, des religieuses craignent de rester les grandes oubliées. “Vu les réactions des évêques, dans l’Église, pour moi, il y a une sorte de négation des adultes vulnérables”, juge Caroline Pierrot, racontant “la grande précarité” dans laquelle certains vivent actuellement.

“Je crains que les responsables de l’Église ne considèrent que les personnes adultes en situation de handicap par exemple, occultant les adultes rendus vulnérables pour d’autres raisons comme des événements graves dans leur vie, ou la vulnérabilité matérielle des religieuses”, souligne une autre femme majeure agressée, sous couvert d’anonymat.

La France compte 23 000 religieuses et moniales.

Konbini news avec AFP