“Pire firme au monde” : Monsanto de plus en plus accusé de menaces

“Pire firme au monde” : Monsanto de plus en plus accusé de menaces

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Par Astrid Van Laer

Publié le

Les méthodes d’intimidation de la firme Bayer-Monsanto sont de plus en plus décriées, mais ont pourtant cours depuis longtemps.

“La pire firme au monde” : c’est avec ces mots que Nicolas Hulot décrit Bayer-Monsanto dans une tribune publiée par le Journal du dimanche ce week-end. L’ancien ministre a pris sa plume pour soutenir Paul François, un agriculteur pris dans une bataille judiciaire avec la multinationale depuis une dizaine d’années.

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Ce dernier était tombé malade après avoir pulvérisé et inhalé du Lasso, un herbicide anciennement fabriqué par l’entreprise américaine. Il se bat depuis devant les tribunaux pour tenter de la faire condamner. Un combat comparé par Nicolas Hulot à celui du “pot de terre contre le pot de fer”.

Dans ce texte, l’ex-ministre évoque les inégalités de cette bataille judiciaire, prenant pour exemple le sien. Il assure qu’après sa nomination au ministère de l’Environnement, il a été mis au courant du fait que Monsanto avait engagé “une officine belge” pour “s’occuper de sa réputation” comprendre : tenir des propos diffamatoires à son égard. Nicolas Hulot aurait appris ceci par le biais d’une connaissance “haut placée dans une entreprise travaillant dans le domaine de l’environnement”.

Il dit “ressentir une profonde colère face à l’indulgence dont bénéficie Monsanto”. Dimanche soir, il a ajouté : “Je n’ai jamais prétendu être victime de Monsanto. J’ai simplement fait état de propos qui m’avaient été rapportés.” De son côté, Bayer-Monsanto, contactée par le JDD, a déclaré “démentir formellement ces allégations très graves et diffamatoires”.

Des propos qui corroborent ses déclarations passées. En 2017, Nicolas Hulot déclarait déjà :

“Il y a un moment, il faut qu’on arrête d’être naïfs. Derrière ces firmes – et je vais parler avec prudence parce que croyez-moi, on se sent tous menacés par ces firmes là – ils ont des moyens de pression que l’on subit les uns et les autres.

Il faut quand même le savoir, et faire en sorte que le lobbying de ces entreprises ne court-circuite pas la démocratie. Ces firmes-là ne sont puissantes que parce qu’on est faibles.”

“We can’t afford to lose one dollar of business”

Existence d’une officine belge ou pas, il n’en reste pas moins que les méthodes de l’entreprise pour faire taire ceux qui la combattent sont variées. Pour Bayer-Monsanto, le plus important semble être son image avant tout.

Un mantra résumé ainsi : “We can’t afford to lose one dollar of business” [traduction : “on ne peut pas se permettre de perdre ne serait-ce qu’un seul dollar de business”], la consigne d’un employé du siège américain de Monsanto à ses communicants, figurant dans un document dévoilé par la journaliste Marie-Monique Robin.

Dans sa tribune, l’ancien ministre mentionne cette dernière, auteure du Monde selon Monsanto, paru en 2008 et déclare à son sujet qu’elle a “elle aussi, fait les frais de ces méthodes”, ajoutant que les premiers visés par ces méthodes sont les premiers concernés, à savoir les usagers :

Des agriculteurs en ont été victimes aux États-Unis : Monsanto leur a envoyé des huissiers, en plein champ, pour constater que certains des plants qu’ils cultivaient ne leur appartenaient pas.”

“Un harcèlement moral permanent”

“Monsanto a beaucoup beaucoup d’argent et l’argent fait le pouvoir”, déclarait récemment le jeune Théo, 11 ans, à la caméra de Konbini news. Le petit garçon souffre de graves malformations de l’œsophage et de la trachée après que sa mère a été exposée sans le savoir à du glyphosate contenu dans des produits Monsanto pendant sa grossesse.

Interrogé sur ce qu’il avait compris de la bataille judiciaire de sa mère avec la multinationale, il répondait : “Ils peuvent faire pression par beaucoup de moyens”. Une lucidité étonnante pour son âge. Mais corroborée par Paul François. Reçu par Konbini en 2017, ce dernier nous racontait alors les pressions auxquelles il faisait face : “Monsanto [a déployé] un harcèlement moral permanent”, à tel point qu’il a failli renoncer : “En novembre 2014, j’ai réfléchi et envisagé de stopper la procédure”, raconte-t-il.

Pourtant en bonne position, alors qu’il avait “gagné la première manche”, il songe alors à renoncer. À ce moment-là, Monsanto fait appel et ne compte pas lâcher : “Le harcèlement était tellement terrible qu’à ce moment-là que j’ai dit ‘stop'”, se souvient-il, ajoutant : “C’était en train de me détruire moralement et c’est en train de détruire ma famille.”

“Pourquoi les journalistes sont-ils encore surpris par les actions de Monsanto ?”

Mathieu Asselin a publié aux éditions Actes Sud Monsanto : une enquête photographique sur les dégâts humains provoqués par Monsanto dans le monde. Corps mutilés ou atrophiés : le photographe franco-vénézuélien a illustré pendant plusieurs années les conséquences humaines désastreuses de l’entreprise, depuis l’agent orange utilisé par l’armée américaine durant le Vietnam, jusqu’au Roundup, encore utilisé.

Contacté par téléphone, ce dernier ne paraît pas surpris par les propos de Nicolas Hulot. Il nous répond, presque étonné de notre intérêt, qu’il :

“Je ne sais pas si ce que dit M. Hulot est vrai. Mais ça ne m’étonnerait pas de Monsanto du tout. Ils l’ont fait avec des scientifiques, des politiciens… Ça ne m’étonnerait pas du tout.

Monsanto utilise la communication pour mettre en avant leurs produits. Ils mentent sur la nocivité de leur produit, donc je suis sûr qu’ils font des actions… Voilà quoi.”

“Je ne comprends pas pourquoi les journalistes sont encore surpris par les actions de Monsanto”, ironise le photojournaliste. Il évoque des actions illégales mais surtout ancestrales : “Quand j’ai écrit mon bouquin, j’ai montré des faits qui remontent à très longtemps, notamment à la guerre du Vietnam, des trucs qui ont été cachés… Des faits vieux : selon moi, l’histoire ne cesse de se répéter avec Monsanto.”

“N’importe qui en possession d’un document qui va mettre en danger Monsanto, ils vont essayer de le casser”

Pourtant, Mathieu Asselin assure n’avoir jamais été menacé par la firme. “Ils ont des problèmes beaucoup plus gros qu’un photographe comme moi”, explique-t-il, soulignant quand même que “cela n’a pas facile de photographier les fermiers du Midwest car ils font très attention“. Avant d’ajouter :

“Mais c’est clair : n’importe qui en possession d’un document qui va mettre en danger Monsanto, ils vont essayer de le casser, et ce le plus vite possible.”

Le photographe conclut en exhortant tous les journalistes à veiller à parler de “Monsanto-Bayer”. Depuis le rachat de Monsanto par Bayer, le nom d’usage Monsanto a tendance à être toujours utilisé pour souci de simplification. Pourtant, ce sont les mêmes produits soupçonnés d’être cancérigènes qui sont commercialisés car, si “Monsanto comme tel n’existe presque plus”, Bayer-Monsanto poursuit son action :

“Bayer justement ne veut pas que l’on parle de Bayer comme si c’était Monsanto donc ils tentent d’effacer le nom pour calmer tout le monde, mais en continuant la vente des produits qu’on leur connaît…”

Des activistes moquent l’union entre Bayer et Monsanto devant la Commission Européenne à Bruxelles, le 30 mars 2017. © Emmanuel Dunand / AFP