Pénurie de masques : Jérôme Salomon accusé d’avoir fait pression pour modifier un rapport

Pénurie de masques : Jérôme Salomon accusé d’avoir fait pression pour modifier un rapport

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Conférence de presse, le 7 décembre 2020. © Capture d’écran / Twitter @MinSoliSante

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Par Astrid Van Laer

Publié le

"L'analyse de courriels échangés entre la direction générale de la santé et Santé publique France atteste d'une pression directe."

La commission d’enquête du Sénat sur la crise du Covid-19 pointe la responsabilité du N° 2 du ministère de la Santé, Jérôme Salomon, dans la pénurie de masques dont a souffert la France au début de l’épidémie.

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Dans un rapport rendu public jeudi, elle impute “directement cette pénurie à la décision, prise en 2018 par le directeur général de la santé [Jérôme Salomon, ndlr] de ne pas renouveler le stock de masques chirurgicaux”, même si “elle est également la conséquence de choix antérieurs”.

“On a affaibli l’état de préparation du pays sans en référer à quiconque”, a déploré la corapporteure Catherine Deroche (LR) au cours d’une conférence de presse en ligne, estimant que “des impératifs budgétaires ou la peur d’en faire trop” ont prévalu dans les décisions.

“Alors qu’il s’établissait à 754 millions d’unités fin 2017, le stock stratégique de masques chirurgicaux n’en contenait plus que 100 millions fin 2019”, écrivent les sénateurs, qui ont mené de nombreuses auditions ces derniers mois.

Le tournant se situe selon eux en octobre 2018. François Bourdillon, alors patron de l’agence Santé publique France, informe le Pr Salomon que “613 millions de masques chirurgicaux sans date de péremption acquis au mitan des années 2000 sont non conformes et ne peuvent en conséquence être utilisés”.

“Il lui est indiqué que le stock se compose désormais de 99 millions de masques chirurgicaux, dont 63 millions périment fin 2019”, poursuit le rapport. “Informé de la situation des stocks en 2018, le DGS a pourtant choisi de ne pas les reconstituer, sans en informer la ministre [Agnès Buzyn, ensuite remplacée par Olivier Véran, ndlr]”, pointe-t-il.

Selon la commission, le Pr Salomon a “ordonné l’achat de seulement 50 millions de masques (50 millions supplémentaires si le budget le permettait), soit moins que la quantité nécessaire ne serait-ce que pour renouveler ceux arrivant à péremption fin 2019”.

“Un dysfonctionnement grave des pouvoirs publics”

Les sénateurs l’accusent même d’avoir fait “modifier a posteriori les conclusions d’un rapport d’experts” qui préconisait la constitution d’un “stock élevé, probablement d’environ un milliard de masques chirurgicaux”.

“L’analyse de courriels échangés entre la direction générale de la santé et Santé publique France atteste d’une pression directe de M. Salomon sur l’agence afin qu’elle modifie la formulation des recommandations de ce rapport”, pour “faire disparaître la référence à la taille du stock”, assure la commission.

Cette intervention constitue “un dysfonctionnement grave des pouvoirs publics de notre pays”, a commenté l’un des trois rapporteurs, le socialiste Bernard Jomier.

Les sénateurs déplorent aussi “la disparition du stock de masques FFP2 [les plus protecteurs, destinés aux soignants, ndlr] dans les années 2010”, bien avant l’arrivée du Pr Salomon à son poste en janvier 2018. En cause selon eux, “une interprétation contestable et restrictive des recommandations d’experts”.

“De 2011 à 2016, le stock stratégique de masques FFP2 est passé de 700 millions d’unités à 700 000”, pointent les sénateurs. “Cette crise aura révélé une sorte de toute puissance de la bureaucratie française qui se protège”, alors que “le gouvernement accuse systématiquement les Français de ses propres faiblesses”, a commenté sur Europe 1 Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat.

“Qu’il y ait eu des intentions de dissimuler des informations, j’en serais très étonné”, a en revanche réagi le numéro un de LREM Stanislas Guerini sur Public Sénat.

Au-delà de la seule question des masques, la commission d’enquête du Sénat dénonce plus largement “un défaut de préparation, un défaut de stratégie ou plutôt de constance dans la stratégie et un défaut de communication adaptée” dans la gestion gouvernementale de cette crise sanitaire inédite. Elle recommande notamment la création d’un conseil d’expertise scientifique indépendant et permanent pour conseiller les pouvoirs publics en cas de nouvelles crises.

Dans un rapport distinct rendu public le 2 décembre, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, pilotée par une figure de l’opposition, Éric Ciotti (LR), avait accablé la gestion du gouvernement. La majorité LREM avait dénoncé un “rapport partial et partiel”. La commission d’enquête du Sénat est également présidée par un élu LR, Alain Milon. 

Konbini news avec AFP