“On veut que ça devienne une normalité” : que deviennent les premiers urinoirs féminins ?

“On veut que ça devienne une normalité” : que deviennent les premiers urinoirs féminins ?

Image :

Images d’illustration & © Lapee

photo de profil

Par Astrid Van Laer

Publié le

Trois ans après l’avoir rencontrée, l’architecte qui a conçu les urinoirs féminins revient sur son invention, désormais utilisée en Europe et en Australie.

En 2019, nous recevions chez Konbini Gina Périer. À tout juste 25 ans, cette jeune architecte venait d’obtenir une médaille d’or au concours d’inventions Lépine pour Lapee, le premier urinoir féminin.

La jeune femme nous avait fièrement présenté sa maquette : “Il peut accueillir jusqu’à 1 100 litres d’urine, ce qui correspond à trois femmes qui feraient pipi en continu pendant 48 heures non-stop”, nous expliquait-elle.

Marathons, bars en plein air, parcs, skateparks et surtout festivals : trois ans plus tard, cet urinoir, lancé en premier lieu au Danemark, a fait une apparition grandissante et remarquée dans de nombreux événements en plein air. Retour avec Gina Périer sur cette invention pratique.

“Je m’étais rendu compte de cette inégalité énorme”

La genèse, d’abord. “À l’époque, mon associé et moi étions architectes pour un grand festival au Danemark, et on s’est rendu compte de l’énorme problème au sein des festivals concernant l’accès aux toilettes pour les femmes : ce sont ou des files d’attente immenses, ou des pipis improvisés où l’on peut”, explique Gina Périer. Elle ajoute :

“Je m’étais rendu compte de cette inégalité énorme en étant moi-même pas mal affectée par ce problème. Plutôt que d’aller dans des toilettes sèches, souvent très sales, dix fois par jour, le moyen le plus simple et hygiénique, c’était finalement de trouver un buisson ou un coin caché.

Mais c’est très contraignant parce que plutôt que de profiter des concerts avec nos amis, on passe notre temps à chercher un endroit où faire ce besoin tranquillement. Alors que les festivals sont très bien équipés pour les hommes, avec des urinoirs mobiles qui sont souvent un peu partout dans le festival, très faciles d’accès. Ils peuvent se soulager rapidement sans toucher à rien et ça n’a aucun impact sur leur expérience de l’événement.”

Très surprise de voir qu’il n’y avait toujours pas de solution pour les femmes, et après observation de l’urinoir masculin classique qui existe partout dans le monde, Gina Périer a donc voulu créer une nouvelle version de ce produit. L’objectif : “l’adapter aux femmes et aux personnes qui urinent accroupies, mais tout en gardant le cahier des charges de l’urinoir.”

Cette invention, qui n’utilise ni eau ni électricité, est également écologique. “Avoir des endroits où on urine seulement a l’avantage de pouvoir se recycler très facilement en fertilisant”, poursuit-elle. En outre, il s’agit d’un produit durable :

“Ces urinoirs peuvent durer trente à quarante ans, on peut les réparer, les recycler entièrement. C’est conçu pour résister aux intempéries et on sait aussi que pour un festival, on doit concevoir un produit hyper résistant, car la moindre chose cassable sera cassée, puisqu’on l’expose à une foule en délire [rires].”

Tinder, matchs et urinoirs…

Image d’illustration : © Liv Wardlaw

Dès l’été 2019, il avait fait son apparition dans des festivals comme le danois Distortion, avant d’être vendu ailleurs l’année suivante, jusque dans une quinzaine de pays européens ainsi qu’en Australie, notamment pour des événements sportifs.

Et Gina Périer, qui souhaite casser le tabou d’un sujet “trop souvent mis sous le tapis, surtout pour les femmes, qui grandissent avec l’idée qu’elles ne peuvent faire pipi nulle part”, de se réjouir : “Désormais, en festivals, on voit plein d’utilisatrices prendre des photos d’elles dans les urinoirs, et carrément les poster sur les réseaux sociaux. On a même découvert que des personnes mettaient sur leur profil Tinder des photos d’elles-mêmes en train de les utiliser !”

Une progression toutefois sans surprise freinée par la pandémie. Mais optimiste, sa conceptrice se réjouit : “On sent que la saison des festivals est complètement prête à retourner à la normale, donc on va enfin pouvoir les voir un peu partout.”

Une problématique de santé publique majeure

Quel objectif, maintenant ? “On veut que ça devienne une normalité, que ce soit démocratisé pour tout le monde et que dès qu’on voit des événements avec des urinoirs pour hommes installés, qu’il y a des soucis de débit d’accès aux sanitaires, qu’il y en ait pour les femmes aussi. Qu’on y ait accès dans les villes, les événements, partout”, détaille l’architecte.

Mais pas seulement : “En 2020, on a développé des programmes de recherche pour travailler sur comment implanter cet urinoir ou des déclinaisons de celui-ci pour faciliter l’accès aux sanitaires dans des pays en développement. On s’interroge activement là-dessus.”

Une réflexion qui ne devrait pas être vaine, puisqu’il s’agit en effet d’une problématique de santé publique majeure. Camille Romain des Boscs, directrice générale chez Vision du Monde, nous expliquait récemment dans une interview que “3,6 milliards de personnes dans le monde n’ont pas accès à des toilettes dignes, c’est-à-dire des toilettes qui sont sécurisées, fermées et qui peuvent être vidées”. Et les conséquences du manque de toilettes faciles d’accès, propres, décentes et sécurisées dans certains pays sont multiples.

À voir aussi > Fétichisme, messages codés de la Résistance ou encore rencontres homosexuelles : la folle histoire des pissotières parisiennes, racontée par l’artiste Marc Martin

On lance un courrier des culs ! Si vous avez des questions sur vos sexualités que vous n’avez jamais osé poser, une adresse mail vous est maintenant ouverte, écrivez-nous sur nossexualites@konbini.com, c’est anonyme, promis !