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“On est tout seuls, livrés à nous-mêmes” : témoignage depuis une prison devenue fournaise

“On est tout seuls, livrés à nous-mêmes” : témoignage depuis une prison devenue fournaise

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© Sara Bentot / Konbini news

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Par Astrid Van Laer

Publié le

On a recueilli les propos d'Alex, qui nous explique que dans sa prison, tout le monde est "sous tension".

Avec 41,8 °C dans le Gard, le record national de chaleur en juin a été battu ce jour. À mesure que la température du bitume grimpe, le pays entier suffoque et les détenus sont loin d’être en reste : dans leurs cellules, ces derniers étouffent.

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Nous sommes parvenus à entrer en contact avec l’un d’entre eux, un certain Alex*, détenu à la prison à Châteaudun, en Eure-et-Loir. Pour ce jeune homme, âgé d’une vingtaine d’années, le plus long de sa peine est passé, mais pas forcément le plus dur. Incarcéré depuis quatre ans – dont deux à Châteaudun –, il devrait sortir dans moins de six mois. Mais pour le moment, il vit la canicule depuis sa cellule.

Une geôle d’environ 10 m2, qu’il partage avec un codétenu. “Avec la chaleur, c’est étouffant”, rapporte-t-il, ajoutant : “Mais on supporte, parce qu’on n’a pas le choix de toute façon.” 

Lorsqu’on lui demande de décrire son quotidien ces derniers jours, il n’hésite pas une seconde avant de répondre : “C’est la galère, c’est une routine de galère.” “Mais on supporte car on n’a pas le choix, on est obligés. Heureusement, le soir, la température baisse un petit peu”, ajoute-t-il.

“À la télé, ils ont dit que le plan canicule en prison était activé, mais pas ici”

Et quand on l’interroge au sujet d’éventuelles mesures particulières mises en place dans sa prison, telles que la distribution de ventilateurs ou de bouteilles d’eau, il répond par la négative, tout en concédant que l’administration a installé des jets d’eau dans la promenade afin de la rafraîchir.

“Non, ils n’ont rien fait. On est tout seuls, on est livrés à nous-mêmes à l’intérieur”, confie Alex. Et de poursuivre : “Mais sinon, on se débrouille et les bouteilles d’eau, ce sont les nôtres, elles ne sont pas fournies par l’administration.”

Quant aux ventilateurs, ils sont en vente à la cantine, s’ils souhaitent s’en procurer. Mais leur coût se situe “autour de 29,30 euros”, nous fait-il savoir, ce qui ne permet pas à tout le monde d’en faire l’acquisition.

Pas d’entorse exceptionnelle au règlement concernant la tenue vestimentaire non plus, selon Alex : “Pour la promenade, je suis sorti en short et j’ai mis un pantalon par-dessus parce qu’on n’a pas le droit de sortir en short dans la coursive, et je l’ai enlevé une fois dehors.”

Ont-ils droit à des douches supplémentaires pour faire face à l’exception de la situation ? Non, nous assure Alex : “On a le droit à une douche tous les matins, mais à 7 heures, c’est-à-dire avant la promenade, qui a lieu à 8 h 30.” Et le jeune homme de poursuivre :

“La douche, on doit automatiquement la prendre le matin. Sauf qu’on a envie d’en prendre une après la promenade. On a envie d’aller se balader, comme il fait chaud, on a envie d’aller prendre l’air.

Mais si on prend une douche à 7 heures, qu’on va en promenade avec le soleil qui tape, on a chaud donc en rentrant, on a envie de prendre une douche. Ils ne veulent pas nous laisser prendre la douche après la promenade, il faut que ce soit juste avant. Et après on part pour toute la journée, on sue.”

Puis il continue :

“J’ai demandé aujourd’hui à prendre une douche après la promenade. Ce matin, j’ai regardé le journal à la télé et ils ont dit que le ministère autorisait les prisons à donner des douches en plus dans le cadre du plan caniculaire.

Et quand je l’ai signifié au surveillant, il m’a dit : ‘La note ministérielle n’est pas encore arrivée ici. Quand elle arrivera, on pourra le faire, mais pour l’instant, on respecte le règlement.'”

Du coup, pour tenter de mieux supporter la chaleur, système D oblige, les détenus font avec les moyens du bord : “On essaye de prendre des gants de toilette, on les mouille et on se mouille avec dans la cellule.”

Au-delà de l’hygiène, la conservation des aliments en période de canicule peut également poser problème. En effet, Alex explique : “Parfois la nuit, il y a des coupures de courant d’une à deux heures en fin de journée”, ce qui occasionne la coupure du frigidaire. “Heureusement, les surgelés, ça se conserve bien”, ajoute-t-il, optimiste.

“J’essaye de rôder en caleçon dans la cellule”

Alex a très peu d’espoir quant à l’amélioration de la situation. Las, il nous explique :

“J’ai 25 ans, je suis incarcéré depuis quatre ans et j’ai bientôt fini ma peine, donc je ne veux pas me casser la tête avec l’administration. Tant pis, je supporte la chaleur, je ne me plains pas et j’essaye de rôder en caleçon dans la cellule.”

Ce matin, le jeune homme nous a contactés, pour nous rapporter un incident survenu à cause de ce même caleçon :

“Aujourd’hui, on est venus nous apporter le repas du déjeuner en cellule. Il faisait 40 degrés dans la cellule, donc normal [sic], je suis en caleçon. Et les surveillants m’ont mis un CRI [compte rendu d’incident, ndlr] juste parce que j’étais en caleçon dans ma cellule”, nous a assuré le jeune homme.

Pressé d’apporter quelques explications, Alex enchaîne : “Normal, avec la chaleur, j’étais en caleçon. Quand les personnes chargées d’apporter la gamelle, enfin ce qui nous sert de déjeuner parce que c’est pas comestible ce qu’on nous donne, ont ouvert la porte, le gardien l’a immédiatement refermée.” Et ajoute :

“Il ne m’a pas demandé gentiment de remettre un T-shirt, il m’a dit : ‘Wow, c’est la dernière fois que tu t’habilles comme ça.’ Je lui ai demandé de ne pas me parler comme ça parce que je ne suis pas un gamin. En plus, aucun règlement n’interdit d’être en caleçon dans la cellule.”

“Ils m’ont expliqué que je n’avais pas le droit d’être en caleçon dans la cellule devant le personnel féminin – une femme figurait dans le groupe, comme si je pouvais savoir qu’il y aurait une femme derrière la porte”, poursuit Alex, qui enchaîne : “Même elle m’a dit : cherche pas, ils mettent des CRI à tout le monde aujourd’hui.” Alex assure qu’il a uniquement écopé d’un CRI car il était en caleçon et qu’il est “resté respectueux”.

“Il fait 40 degrés dans la cellule”

“Mais c’est des fous, ils s’acharnent sur nous, ils font la peau à tout le monde, c’est de l’abus de pouvoir, ils ne respectent pas les gens ici”, s’insurge-t-il. Avec la chaleur, les esprits s’échauffent à mesure que les corps subissent. Et c’est justement l’une des craintes principales de l’administration pénitentiaire en cas de vague de chaleur comme celle-ci, c’est que des tensions et des émeutes voient le jour :

“Le matin, on se lève, on a les nerfs, on a la rage. Le surveillant ce matin, il l’a senti. Il a dit : ‘Tout le monde est sous tension, tout le monde est sur les nerfs depuis ce matin et tout le monde s’embrouille avec tout le monde.’ Et les surveillant pètent les plombs tout seuls, ils sont agacés, ils crient.”

Hier matin, le député France Insoumise de la 2e circonscription du Nord, Ugo Bernalicis, a pour sa part visité la prison de Fresnes et le bilan qu’il a dressé est sensiblement similaire, et plutôt alarmant. Ce dernier a expliqué qu’un dispositif canicule était bien prévu mais que la surpopulation carcérale et le manque de personnels “conduisent à ne pas pouvoir l’appliquer”. L’élu a déclaré :

“Pas de douche supplémentaire, des distributions de bouteilles qui tardent… Trois par cellule de 9 m2, plus de 35 °C et parfois 45 °C. Ajoutez l’odeur de la nourriture due à l’absence de frigo.”

Selon lui, un surveillant pénitentiaire a même qualifié les conditions de détention d’“inacceptables”.

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Alex aussi dénonce des conditions de détention inacceptables. Et à ceux qui compteraient lui rétorquer qu’étant donné sa condition de personne condamnée, il n’aurait pas le droit de s’en plaindre, il répond simplement : “On est des êtres humains, comme tout le monde.”

* Le prénom a été modifié.