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Mort de Soleimani, tué par les États-Unis : le déclenchement d’une “guerre dévastatrice” ?

Mort de Soleimani, tué par les États-Unis : le déclenchement d’une “guerre dévastatrice” ?

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Un véhicule en feu après l’attaque à l’aéroport de Bagdad, qui a tué Qassem Soleimani et 8 autres personnes le 3 janvier 2020. (© Iraqi Military/AFP)

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Par Astrid Van Laer

Publié le

Après la mort de Qassem Soleimani dans un bombardement américain, le guide suprême iranien a appelé à la "vengeance".

Vendredi, les assassinats par les États-Unis du puissant général iranien Qassem Soleimani et du principal homme de l’Iran à Bagdad bousculent la donne et placent désormais l’Irak au bord du précipice, selon des experts.

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Le raid américain de la nuit “va déclencher une guerre dévastatrice en Irak”, a réagi le Premier ministre démissionnaire irakien Adel Abdel-Mehdi, en dénonçant une “agression” de Washington contre son pays et en laissant entendre que Bagdad pourrait remettre en cause la présence des 5 200 soldats américains stationnés dans le pays.

Avec la mort du général Soleimani et de son lieutenant irakien depuis des décennies, Abou Mehdi al-Mouhandis, Washington a subitement décapité la chaîne de commandement des forces pro-Iran en Irak : le premier était le chef de la force Al-Qods des Gardiens de la révolution, spécifiquement en charge des affaires irakiennes. Quant au second, il était le véritable patron du Hachd al-Chaabi, une coalition de paramilitaires désormais intégrée à l’État irakien.

Longtemps aux abonnés absents face à la révolte populaire qui secoue depuis trois mois l’Irak, Washington a repris la main militairement, en visant le général Soleimani, qui présidait aux négociations pour la formation d’un futur gouvernement irakien préservant ses intérêts.

Dimanche dernier, déjà, des avions américains avaient bombardé “la troisième force de l”axe de résistance’ iranien au Moyen-Orient”, les brigades du Hezbollah, faction irakienne membre du Hachd, faisant 25 morts et détruisant des stocks d’armes.

Quelques jours plus tard, un responsable américain avait annoncé à l’AFP que Washington enverrait “jusqu’à 4 000 soldats supplémentaires”, pour partir au Koweït, “très probablement” pour entrer en Irak ensuite.

Qasem Soleimani, le 14 septembre 2013. (© Mehdi Ghasemi/ISNA/AFP)

Une situation sans précédent

Et tôt vendredi, trois jours après une attaque inédite contre l’ambassade américaine à Bagdad par des milliers de combattants et de partisans du Hachd, ces mêmes avions ont visé plus précisément encore : ils ont pulvérisé les voitures dans lesquelles se trouvaient plusieurs hauts commandants de cet “axe de la résistance”.

“Personne n’imaginait même que c’était une possibilité. Maintenant, tous les acteurs vont improviser, au moins à court terme, et c’est la recette parfaite pour des mauvais calculs”, prévient Ramzy Mardini, chercheur au United States Institute of Peace.

Face à cette “escalade extrêmement dangereuse”, selon les termes du ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Djavad Zarif, se pose prioritairement la question de la réponse de Téhéran.

“L’Iran ne peut pas réellement toucher les États-Unis sans risquer l’autodestruction. Mais il peut mettre l’Irak à feu et à sang”, dit le spécialiste de l’Irak, Fanar Haddad.

Quand ? Comment ? Il est difficile de prévoir quelle pourrait être la réponse de l’Iran à la mort de l’une de ses figures les plus populaires, car il n’existe aucun précédent.

Mais une chose est sûre, assure à l’AFP Ramzy Marzini, l’affrontement est désormais frontal. Les États-Unis ont d’ailleurs appelé tous leurs ressortissants à quitter immédiatement l’Irak. “L’Iran ne peut plus utiliser ses lieutenants en Irak comme une couverture pour menacer et attaquer les intérêts américains sans risquer des représailles conventionnelles”, affirme-t-il.

Depuis des années, Bagdad met en garde contre la possibilité que ses deux grands alliés ne se servent de son sol comme d’un champ de bataille où régler leurs comptes, dans un contexte de plus en plus tendu autour du dossier nucléaire iranien.

Et, aujourd’hui, explique Fanar Haddad, “les meilleures cartes de l’Iran sont en Irak” : “Si l’Iran a besoin de répondre et de marquer le coup, ce qui est à redouter, ce ne sera pas seulement avec des roquettes contre des ambassades mais avec ce qui pourrait prendre la forme d’un conflit majeur en Irak”, avance-t-il.

“Comment ont-ils su ? Qui a fait fuiter l’information ?”

Un véhicule en feu après l’attaque à l’aéroport de Bagdad, qui a tué Qassem Soleimani et 8 autres personnes le 3 janvier 2020. (© Iraqi Military/AFP)

En face, les États-Unis, qui ont renversé en 2003 Saddam Hussein pour installer un nouveau système politico-sécuritaire désormais noyauté par Téhéran, semblent chercher à “réorienter la politique irakienne”, relève ce spécialiste. “S’ils n’y parviennent pas, cela pourrait mener l’Irak sur la voie de luttes intestines, ce que l’Iran peut très facilement instiller.”

Déjà, la montée en puissance des pro-Iran et l’attaque de l’ambassade américaine à Bagdad ont attesté de la difficile position de l’Irak vis-à-vis de son appareil sécuritaire et de ses partenaires diplomatiques.

Dans l’immédiat, prédit Ranj Alaaldin, chercheur au Brookings Institution de Doha, des “purges” pourraient avoir lieu en Irak après la mort de deux des hommes les plus puissants du pays.

Deux hommes qui, visiblement, se sentaient assez en sécurité jusqu’ici pour se déplacer au sein du même convoi dans un aéroport où forces de sécurité et compagnies privées tiennent des barrages à intervalles réguliers.

“L’Iran va avoir beaucoup de questions à poser aux Irakiens : comment les États-Unis ont-ils su pour l’arrivée de Soleimani à Bagdad ? Qui a fait fuiter l’information ?”, note M. Alaaldin.

Vendredi, avant même que le jour se lève sur Bagdad, un ex-chef des Gardiens de la révolution a donné le ton, appelant à la “vengeance” contre les États-Unis. Puis le guide suprême a joint sa voix. Décrétant un deuil national de trois jours, l’ayatollah Ali Khamenei a déclaré :

“Le martyre est la récompense de son inlassable travail durant toutes ces années […]. Si Dieu le veut, son œuvre et son chemin ne s’arrêteront pas là, et une vengeance implacable attend les criminels qui ont empli leurs mains de son sang et de celui des autres martyrs.”

Konbini avec AFP