“Le viol tue” : Alma, violée par Samuel, répond aux questions de Konbini news

“Le viol tue” : Alma, violée par Samuel, répond aux questions de Konbini news

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Alma © Alma Gueule

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Par Astrid Van Laer

Publié le

La jeune femme se confie sur son histoire, et revient sur la publication de la lettre de son violeur.

“Ce que je délivre ici est ma parole, je ne prétends ni avoir le savoir absolu ni délivrer une vérité universelle, je parle ici en tant que, moi, Alma.” En 2018, Alma Ménager a fait partie des 93 000 femmes victimes de viol ou de tentatives de viol chaque année. Elle fait aussi partie des 9 femmes sur 10 qui connaissent l’agresseur, des chiffres dramatiques rappelés par le collectif #NousToutes.

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Il y a deux ans, la jeune femme a été violée par son petit ami de l’époque, Samuel. Pour rappel, “tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol” et “est puni de quinze ans de réclusion criminelle”, dispose l’article 222-23 du Code pénal.

En janvier dernier, elle confiait sur le groupe des étudiants de son école, Sciences Po Bordeaux, avoir été violée, entraînant un mouvement de libération de la parole chez ses camarades d’IEP par le biais d’une vague de messages publiés sur les réseaux sociaux.

“Je veux que les violeurs témoignent”

Quelques jours plus tard, cela occasionnait une réaction de la direction de l’école. Ce mouvement est également observé à Sciences Po Toulouse, et le hashtag #SciencesPorcs voit le jour. La ministre chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa, a alors également réagi, affirmant donner son “plein soutien aux étudiantes victimes de viols qui dénoncent les faits courageusement via #SciencesPorcs”.

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Le 8 mars, la publication par Libération de la lettre de Samuel, le violeur d’Alma, avait suscité un véritable tollé. Intitulée “J’ai violé, vous violez, nous violons”, elle était accompagnée d’un texte titré “Pourquoi Libé publie la lettre d’un violeur”. Parmi de nombreuses autres critiques, la militante féministe Caroline de Haas avait pointé du doigt l’“indécence, le mépris et la violence” du choix du quotidien.

Dix jours après, Alma a accepté de répondre aux questions de Konbini news. Elle nous raconte le traumatisme qu’elle a subi et les conséquences psychologiques immenses que le viol a engendrées chez elle. Alma nous explique également son postulat, qu’elle a réaffirmé à plusieurs reprises lors de prises de parole sur les réseaux sociaux, à savoir : “Je veux que les violeurs témoignent”, et elle insiste sur la nécessité de mettre fin à un système empreint de culture du viol qui laisse ces crimes se perpétuer.

Pour trouver écoute, conseils et soutien, le numéro Viols Femmes Informations (0 800 05 95 95), numéro anonyme et gratuit, est disponible du lundi au vendredi de 10 heures à 19 heures.

“Ma médecin m’a dit qu’il fallait que je me fasse hospitaliser”

Konbini news | Bonjour Alma, peux-tu te présenter ?

Alma | Bonjour, je m’appelle Alma Ménager, j’étais à Sciences Po Bordeaux jusqu’à cette année. J’ai quitté mes études parce que j’ai fait une grosse dépression en début d’année scolaire et, en décembre, j’ai failli me suicider et j’ai été hospitalisée en clinique psychiatrique. Avant cela, j’ai été amoureuse d’un garçon pendant quatre ans qui s’appelle Samuel. Je ne peux pas me présenter sans parler de Samuel.

Comment as-tu rencontré Samuel ?

On a été ensemble à partir de nos 16 ans. C’était notre premier amour à tous les deux, on a eu une histoire hyper forte. En 2018, j’ai appris que Samuel avait été violé de ses 12 à 14 ans. Huit mois après, en avril 2019, il m’a violée en me quittant. Avec Samuel, on a continué à se voir après ça. J’étais déjà en dépression à ce moment-là, mais je ne le savais pas encore. Ma vie, c’était le bordel, je ne comprenais rien à ce qui m’arrivait.

On s’est revus rapidement, on a continué à coucher ensemble mais j’étais vraiment absente, comme s’il manquait une partie de moi. Je suis ensuite partie en Argentine, mais je faisais des crises d’angoisse tout le temps. Je suis rentrée en France à l’arrivée du Covid, en mars 2020, et je l’ai revu. Mes crises d’angoisse sont revenues et elles étaient encore plus puissantes. J’ai passé le pire été de ma vie, je ne dormais pas de la nuit et je me mettais tout le temps à pleurer.

Pendant deux semaines, j’ai voulu faire un break, on ne s’est plus parlé avec Samuel et j’ai réussi à être à peu près bien et stable psychologiquement. Je suis allée chez lui fin août, c’était flagrant : dès que je l’ai revu, j’étais comme dissociée et au bout de même pas 24 heures, je refaisais crise d’angoisse sur crise d’angoisse. J’entendais ses pas dans le couloir lorsque je lisais dans la chambre et là, mon cœur s’emballait. Ce genre de scènes est arrivé tellement de fois, mais je ne comprenais pas.

On a essayé de se séparer et je suis vraiment rentrée en dépression à ce moment-là. On s’est revus en novembre, j’étais comme morte de l’intérieur. Quelques semaines après, ma médecin m’a dit qu’il fallait que je me fasse hospitaliser.

Alma © Alma Gueule

À quel moment as-tu pris conscience que Samuel t’avait violée ?

Je m’en suis rendu compte vers janvier 2021. J’ai revu Samuel le jour de l’An, il était venu me voir à la clinique, on s’est dit qu’on allait reprendre une histoire d’amour saine. Mais deux semaines après, je me suis rendu compte qu’il y a deux ans, il m’avait violée et que c’est pour ça que j’ai tous ces problèmes.

En clinique, j’ai rencontré beaucoup de potes qui sont devenus proches. L’une d’entre elles, Margot, disait souvent “men are trash”, “je déteste les hommes, ce sont tous des violeurs” et ça me mettait mal à l’aise qu’elle dise ça, ça ne correspondait pas à ma façon de penser, donc je suis allée la voir pour lui dire.

“J’ai explosé en sanglots en me rendant compte de ce que c’était”

Elle qui a fait de la socio était très renseignée sur les chiffres et statistiques concernant les violences sexuelles, on a longuement discuté. J’ai commencé à ressentir pas mal de haine envers Samuel et je ne savais pas pourquoi, une haine sourde et incompréhensible. Penser à lui m’énervait, j’avais envie de tout détruire. À ce moment-là, je me suis renseignée et j’ai pris conscience de plein de choses au sujet de la culture du viol et du consentement.

Je suis retournée voir Margot quelques jours après notre premier échange qui m’avait mis un gros coup. Je voulais lui parler du viol en général et d’histoires d’amies à qui c’est arrivé. Et d’un coup, j’ai balancé cette histoire, sortie de nulle part : celle de Samuel qui m’attache les mains avec une ceinture, qui me balance sur le sol, moi qui me bats de toutes mes forces, le visage en sang, c’était hyper violent. À la fin, j’ai explosé en sanglots en me rendant compte de ce que c’était.

Margot m’a alors fait un discours sur le consentement, celui que tout le monde devrait tenir, à savoir “si c’est ‘mouais’, c’est non, si c’est ‘ouais je sais pas’, c’est non, si la personne pleure, c’est non”. J’ai directement appelé Samuel en rage : “Hey connard, yo, je sais enfin pourquoi je fais des crises d’angoisse depuis deux ans et pourquoi j’ai failli me buter.”

Il a tout de suite reconnu les faits et m’a dit “oui, je t’ai violée Alma”, m’a dit ce qu’il avait ressenti en me violant, que ce n’était pas arrivé qu’une fois, que ça lui était arrivé d’autres fois de faire des choses sur mon corps sans même parfois que je m’en rende compte. C’était horrible.

“Oui enfin, avec certaines femmes, c’est quand même pas très clair”

Qu’est-ce qui t’a poussée à témoigner sur le groupe Facebook des étudiants de Sciences Po Bordeaux ?

C’était cinq jours après avoir pris conscience du viol. Après ma conversation téléphonique avec Samuel, j’étais en rage. J’ai appelé mes proches, et en fait, plus je les appelais, plus j’étais en rage car beaucoup ont eu des réactions totalement à côté de la plaque, des réactions cruelles. Comme ma grand-mère qui m’a dit “oh bah quand même, il est honnête”, ou “oui enfin, avec certaines femmes, c’est quand même pas très clair”. Que des propos horribles qui n’ont fait que rajouter de l’horreur à l’horreur. Je sentais une rage et une impuissance m’envahir.

Ça s’est aggravé lors d’un rendez-vous avec un psychiatre remplaçant à la clinique, qui a tenu des propos violents et condescendants. Je suis sortie de ce rendez-vous enragée, je me suis dit “c’est bon, je témoigne” et j’ai balancé mon texte sur le groupe Facebook des étudiants de l’école.

Quelles conséquences cela a eu sur la prise de parole de tes camarades ? T’attendais-tu à une telle déferlante de témoignages ?

Quand j’ai écrit, ce n’était pas prémédité. Pour moi, Sciences Po, c’était le tabou, la bienséance hypocrite, ça me dégoûtait, alors j’ai balancé ça. J’ai reçu des dizaines de messages immédiatement, de gens à qui je n’avais jamais parlé qui me disaient “Alma, moi aussi j’ai connu ça”, “ça veut dire quoi si je suis super angoissée dès que je pense à lui ?”. Ça a eu l’effet d’une bombe. J’ai été surprise qu’il y ait autant de témoignages si rapidement.

Est-ce qu’écrire t’a fait du bien ?

Ça fait toujours du bien d’exprimer sa rage, donc oui. Cela faisait cinq jours que je n’arrêtais pas de demander à mes proches “vous êtes sûrs que c’est un viol ?”, qui m’assuraient que oui et me rappelaient : “Même le violeur l’a reconnu.” Le fait de voir autant d’histoires différentes de la mienne mais similaires à la fois, qui parlent de la même chose, du même doute, du même dégoût, de la même impuissance, de la dépression, des troubles alimentaires… Toutes ces choses qui ont été mon quotidien pendant tellement de temps. Ça fait du bien parce que tu te dis que tu n’es pas seule.

“Comme si j’avais enregistré que les personnes que j’aimais étaient un danger”

Quelles conséquences ce viol a-t-il eu sur ta santé, physique ou psychique ?

Dans l’immédiat, je n’étais pas là, je ne comprenais rien, ma vie n’avait plus de sens. Quand j’ai arrêté de lui parler pendant trois semaines, ça m’a fait un bien fou, je me sentais libérée d’une emprise énorme. C’était incroyable. Mais quand on s’est revus l’été qui a suivi, l’été 2019, lorsqu’on a recommencé à coucher ensemble, à avoir une histoire, j’étais à nouveau vide et tout le temps angoissée sans savoir pourquoi.

J’étais sans cesse dans la recherche d’émotions fortes : j’avais besoin de hurler, d’éclater en sanglots ou de rire pour me sentir bien, parce que sinon j’étais absente. En Argentine, loin de Samuel, dès que je recevais un message de sa part, je faisais une crise d’angoisse. Alors que je voyageais, que “je vivais ma meilleure vie” [sic]. Ça s’est aggravé quand je l’ai revu en mars 2020 en rentrant, la veille du confinement, c’était la première fois qu’on se revoyait depuis 8 mois et à la première seconde, j’étais angoissée.

Tout le temps, dès que j’étais avec des gens proches de moi, j’angoissais. Il n’y a qu’en étant avec des inconnus que je me sentais bien. Comme si j’avais enregistré que les personnes que j’aimais étaient un danger. C’était horrible, je ne contrôlais rien. Comme si depuis le jour où j’avais été violée, le même jour où Notre-Dame a brûlé, j’avais tout perdu, comme si ma capacité à m’attacher sereinement aux gens était morte.

L’été suivant, le voir rigoler avec ses potes me mettait hors de moi, tout m’enrageait, avec ce sentiment de culpabilité énorme, car je me disais que j’étais trop possessive. Je me disais que je n’étais pas assez stable, pas assez heureuse, pas assez ceci, pas assez cela. En août, on a décidé de se séparer et ça a été la chute, la descente aux enfers, la dépression. Tu flottes, t’es pas là, t’es absente, tu n’as aucune énergie.

Je me souviens que je prenais des douches glacées pour me rappeler que j’étais encore vivante, je faisais du sport d’une intensité monstre et je retrouvais des sensations dans la douleur, dans des sensations fortes, sinon je n’étais pas là. Je voguais d’une pensée négative à l’autre, c’était une souffrance omniprésente, une attraction de la mort, du vide, du noir, de tout ce qui est dark, et une solitude immense. J’explosais en sanglots quand j’étais seule, d’un coup, sans raison, c’était un enfer. Ma capacité à communiquer oralement a été altérée, je devenais folle, je n’ai pas d’autres mots.

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Puis il y a aussi eu les troubles alimentaires, qui étaient déjà présents avant, mais le viol n’a évidemment pas aidé. J’ai commencé à avoir des envies suicidaires de plus en plus fortes, je n’avais de plaisir à rien faire, je ne pouvais même plus me lever pour prendre ma douche. Un jour, j’ai regardé sur Internet comment se tuer. J’en ai parlé à ma mère qui est psychiatre. Elle m’a envoyée voir un médecin, qui m’a dit qu’il fallait m’hospitaliser.

“Un problème engendré par la culture du viol”

Peux-tu revenir sur la publication de la lettre de Samuel dans Libération ?

Depuis ma première prise de parole sur le groupe de Sciences Po, j’ai fait des vidéos sur Instagram en demandant qu’il témoigne, je n’ai eu de cesse de le répéter. On a commencé à échanger par lettres tous les deux, dans les siennes, il me disait qu’il allait témoigner, qu’il avait commencé à écrire un texte.

Un jour, alors que je refusais les contacts directs avec lui, ma meilleure amie a reçu un message de Samuel pour expliquer que Libé acceptait de publier son texte mais voulait entrer en contact avec moi. J’ai eu la journaliste au téléphone. Samuel m’a envoyé son texte, que j’ai approuvé.

Je n’approuve pas la manière quelque peu narcissique dont il avance les choses, mais ce qui est dit, les éléments en tant que tels. Car je milite pour qu’il y ait une prise de conscience que beaucoup de violeurs sont aussi des personnes qui ont vécu des violences. Ça n’excuse pas, ça explique. Que souvent ces personnes n’ont pas été soignées et n’ont pas réalisé leur traumatisme. Que c’est un problème engendré par la culture du viol.

Le choix de Libération de publier la lettre de ton violeur a été vivement critiqué, notamment qualifié de honteux ou d’indécent par de nombreuses associations de défense des droits des femmes, mais aussi de femmes victimes de viol. Je pense notamment à #NousToutes, pour qui cette publication “est une violence pour des centaines de milliers de femmes victimes”. Comprends-tu les critiques émises à l’égard de cette publication ?

Bien sûr, mettre en Une un violeur avec un dessin comme ça, évidemment. C’est indécent, c’est n’importe quoi. J’étais pour que Samuel soit publié, mais certainement pas dans ces conditions-là. [Dans un article paru cette semaine, le quotidien est revenu sur la manière dont la rédaction a fait le choix de publier la lettre de Samuel, ndlr.]

“Je suis persuadée que son témoignage n’apporte rien de plus que ce que les féministes expliquent depuis des années”

Il y a quelques jours, tu écrivais sur les réseaux sociaux “je reste sûre de ma démarche : je veux que les violeurs témoignent”. Pourquoi penses-tu que ces témoignages sont importants et que peuvent-ils bien apporter de plus que ce que les associations féministes expliquent, analysent et martèlent déjà depuis de nombreuses années ?

Je suis persuadée que le témoignage de Samuel n’apporte rien de plus que ce que les féministes ont expliqué depuis des années dans des ouvrages reconnus. Mais ces ouvrages sont lus souvent dans une sphère féministe et la plupart des violeurs ou potentiels violeurs ne les lisent pas.

Je ne crois pas que ce soit utile que tous les violeurs témoignent dans tous les journaux, évidemment. Par contre, là, je pense que cette publication était utile parce qu’elle a remis le sujet sur la table, notamment dans des sphères qui ne s’intéressent pas ou peu au problème. Mais ce témoignage ne peut pas être une justification, ça peut au mieux être un aveu.

La forme a également été pointée du doigt, notamment le fait que cette lettre soit publiée en Une, de surcroît le 8 mars. Qu’en as-tu pensé ?

Je suis totalement contre le fait que ce texte ait été publié en Une, et ce jour-là. Un 8 mars, c’est n’importe quoi, vraiment, j’étais contre tout ça.

Mais de manière générale, j’aimerais qu’on se demande comment ces gens-là témoignent. Je pense que ça doit être fait dans des circonstances ou des sphères médiatiques très encadrées, où il n’y a pas de justification ou d’héroïsme possible. On ne doit pas se dire “oh wow, incroyable, le mec reconnaît ce qu’il a fait”. Un violeur qui témoigne n’est pas un héros. Certainement pas. Ce n’est pas l’objet de ma démarche.

J’ai cocréé une page, Toustes Violet, pour relayer des témoignages de victimes et de violeurs. L’idée, en leur laissant également la parole, c’est vraiment que des violeurs se reconnaissent dans des témoignages d’autres violeurs et se disent “ah oui putain, en fait, je suis un violeur”.

C’est un truc difficilement audible, mais je pense que certains violeurs violent sans même s’en rendre compte. Ils sentent un malaise, un problème, mais c’est inconcevable pour eux de se dire qu’ils sont en train de violer quelqu’un, souvent leur copine, leur conjoint. Pour moi, leur donner la parole, c’est mettre la lumière sur tout un phénomène qui est global et montrer combien c’est fréquent et combien ça peut arriver par n’importe qui et n’importe où. Pour que ça n’arrive plus.

“Le témoignage d’un violeur ne doit jamais se supplanter à celui de la victime”

Beaucoup ont pointé du doigt le fait que la parole d’un violeur ne doit pas être mise à égalité avec celle d’une victime, qu’en penses-tu ?

J’approuve ce point de vue également. Le témoignage d’un violeur ne doit jamais se supplanter à celui de la victime. Jamais. La culpabilité que peut avoir un violeur après son crime, je ne pense pas qu’il faille la nier. Mais ça n’a rien à voir avec le traumatisme d’avoir été violée. Tu vivras avec ça toute ta vie, tu es détruite. Et il ne faut certainement pas mettre ces témoignages sur le même plan. Le témoignage d’un violeur, ce n’est en aucun cas pour être une excuse, c’est pour lever le voile sur la récurrence du viol, sur toutes ces horreurs, le côté systémique du viol et c’est hyper important parce que dans mon entourage, je connais presque que des femmes violées. Comment ça se fait qu’on ne reconnaisse pas les violeurs autour de nous ? Où sont-ils ? Pourquoi sont-ils si nombreux ? Pourquoi la justice ne les reconnaît pas ?

Comment se fait-il, après #MeToo et les différents mouvements de libération de la parole qui ont suivi, qu’il n’y ait pas une vraie prise de conscience collective ? Le blocage vient pour moi du fait que d’un point de vue sociétal, il y a les victimes contre le reste. Le système ne permet pas de prendre en compte la parole des victimes et donc les accompagner. Ce n’est pas du tout pour dire que toutes les personnes agressées deviennent violeuses en puissance, puisque la plupart des victimes sont des femmes et l’immense majorité d’entre elles ne viole pas, mais ce qui est sûr, c’est que si on ne soigne pas les victimes de violences, elles risquent très probablement de reproduire cette violence d’une manière ou d’une autre.

Ce silence est complice de l’absence de prise en charge des victimes parce qu’il y a une méconnaissance inouïe des conséquences psychologiques, du trauma, de ce que c’est un viol et de ce qu’il se passe après : la marque que ça laisse sur toi, sur ton être. Il y a une méconnaissance criminelle de ce qu’est le consentement car il y a une volonté patriarcale de taire les conséquences du viol, la réalité traumatique. Le viol tue.

Les réseaux sociaux peuvent être très violents, notamment lorsqu’il s’agit de recueillir la parole de femmes victimes de violences sexuelles. As-tu subi des attaques ?

Après la publication de Libé, j’ai été agréablement surprise car très peu de personnes m’ont attaquée personnellement. Heureusement, me direz-vous. Mais c’est probablement parce que, comme Samuel a reconnu m’avoir violée, il n’y avait aucun débat sur ça. J’ai été violée. Point. Et ça, je trouve que malheureusement, c’est un privilège par rapport à d’autres victimes. Il n’y a pas eu de débat sur “ai-je été victime ou non”. On n’a pas pu mettre ma parole en doute.

“Tu recherches juste le buzz”

Mais j’ai tout de même eu affaire à des commentaires sur les réseaux sociaux de mecs qui me disent : “Tu avais juste le seum parce qu’il t’a quittée”, “ça va, t’as pas fait la guerre du Vietnam, t’es pas traumatisée”, “tu recherches juste le buzz”, ou encore : “T’es folle”, et même “fais attention à tes émotions”…

Je ne tiens pas à cacher mes problèmes psychologiques, personne ne devrait avoir honte d’être traumatisée, c’est tellement fréquent et il n’y a aucune honte de mon côté. Ce n’est pas moi qui ai fait du mal, je n’ai pas à m’excuser de faire des crises d’angoisse, ou d’être énervée. Pourquoi se sentir mal d’avoir des émotions ?

Les commentaires haineux, ça fait mal, mais je me dis que ça fait bouger les choses si jamais ces haters paternalistes se sentent agressés, menacés ou en danger.

On a beaucoup parlé de ton histoire, mais on t’a assez peu entendue dans les médias. Y a-t-il une question que tu aurais aimé que l’on te pose ?

Il y a plutôt des questions que j’aurais aimé qu’on ne me pose pas. Par exemple : “Tu es sûre de vouloir en parler ?” Les premiers journalistes qui m’ont contactée, souvent des hommes, me l’ont posée. Ce sont des questions hyper culpabilisantes qui montrent combien la personne n’est pas éduquée sur le sujet, car c’est une intimation au silence.

J’aurais aimé qu’on m’interroge sur le tabou autour de ces questions. Comment se fait-il qu’il y ait autant de témoignages de viols mais que personne ne semble connaître de victime ou de coupable ? Le tabou est prédominant dans cette problématique et je fais la guerre aux tabous.

Tout le monde n’a évidemment pas à parler de son viol comme je le fais, c’est certain, chacun fait comme il peut et veut. Mais on ne doit pas penser qu’un viol est rare. C’est très grave, mais ce n’est malheureusement pas rare. Donc il ne faut pas se dire que “ça ne peut pas m’arriver à moi, surtout pas avec le mec que j’aime”.

Selon moi, le tabou est le centre du problème vers lequel tend tout le reste : le manque d’éducation, notamment d’éducation au consentement et de connaissances sur les conséquences psychologiques du viol, la justice défaillante.

Veux-tu ajouter quelque chose ?

À toutes les personnes qui auront envie de donner leur avis sur mon viol, sur mon histoire ou le viol de qui que ce soit, renseignez-vous sur ce que c’est, sur les conséquences traumatiques de celui-ci. Éduquez-vous. Prenez soin de vous, de vos proches et prenez soin de la parole de l’autre, de son ressenti. C’est essentiel.