Et si le déconfinement était l’occasion de lutter contre les IST ?

Et si le déconfinement était l’occasion de lutter contre les IST ?

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© Supachok Pichetkul / EyeEm

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Par Lila Blumberg

Publié le

Un test au Covid-19 et pourquoi pas un test au VIH et aux IST ?

En pleine pandémie de coronavirus, la crainte d’une pénurie mondiale de préservatifs a été évoquée, notamment en raison de la mise à l’arrêt ou du ralentissement du fonctionnement d’usines et de circuits de distribution. Ce risque d’une pénurie de préservatifs est-il avéré ? Est-ce que l’on risque une épidémie d’infections sexuellement transmissibles (IST) après le confinement ? Nous avons contacté les principaux acteurs de la santé sexuelle en France pour répondre à cette question et à condition d’être responsables et vigilants, une opportunité de lutter contre les IST et le VIH pourrait bien se dessiner…

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A priori, pas de pénurie de préservatifs !

Interrogée par Konbini news sur l’éventuel risque d’une pénurie de préservatifs en France, l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) a répondu, le 6 mai 2020 :

“À ce jour, l’ANSM n’a pas identifié de risque de pénurie de préservatifs en France, ni même de risque de tension d’approvisionnement. Nous avons en effet sollicité plusieurs acteurs qui fournissent les préservatifs pour le marché français : d’après leurs informations, leurs stocks respectifs sont conséquents. De même, ils n’ont pas connaissance de blocages ni dans la fabrication ni dans la livraison des préservatifs par les usines situées en Chine, en Malaisie ou en Thaïlande. Par ailleurs, une diminution des ventes a été identifiée en répercussion du confinement.”

Cette réponse est sensiblement identique à celle qu’AIDES, principale association française de lutte contre le VIH et les hépatites virales, a reçue fin avril, suite à un mois d’attente, après avoir interrogé l’ANSM sur le risque de pénurie de préservatifs et de traitements antirétroviraux (pour supprimer ou stopper l’évolution du VIH). Aurélien Beaucamp, le président de l’association se dit soulagé, mais regrette toutefois que la réponse ait été si longue lorsque “l’ANSM, qui est censée être dans la transparence, que ce soit pour les préservatifs ou les traitements des séropositifs, n’est pas capable de nous donner une réponse rapide !”, d’autant qu’AIDES est le “premier distributeur de préservatifs, juste après l’État”.

Le déconfinement : recrudescence ou endiguement des IST et du VIH ?

Les acteurs de la santé sexuelle en France semblent plutôt optimistes et c’est le cas notamment du docteur Florence, coresponsable du centre de Santé sexuelle de l’hôpital Hôtel-Dieu (Paris) : “Je ne pense pas à une recrudescence, au contraire, je suis optimiste et je pense c’est le bon moment pour lutter contre les IST, car tout le monde était confiné et les transmissions limitées.”

En raison de la pandémie de Covid-19, l’accès aux centres de dépistage a été limité, mais est resté possible. Au niveau d’AIDES, la plupart des activités en présentiel ont été arrêtées depuis mi-mars. Néanmoins, certains CeGIDD (Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic) sont restés accessibles sur rendez-vous, pour le dépistage d’IST symptomatiques et/ou pour des urgences nécessitant parfois la délivrance de traitements post-exposition au VIH. De plus, certains dispositifs ont été mis en place pour des personnes en situation d’urgence (distribution d’autotests, avec un système de drive à la porte des locaux de l’association, par exemple).

Ensuite, avec le confinement, il y a très certainement eu moins de rencontres et ainsi, moins de circulation du VIH et des IST. Le déconfinement peut alors être l’occasion de remettre les compteurs à zéro et de se faire dépister et traiter si besoin. Selon Eve Plenel, directrice de l’association Vers Paris sans sida, il s’agit là non seulement d’un dépistage dans un intérêt individuel, mais également collectif : “Plus il y aura de personnes à se faire dépister, plus il y aura de personnes qui reprendront une vie sexuelle protégée et il sera ainsi possible de briser les chaînes de transmission des IST et du VIH.”

“Dans la mesure où il y aura eu une baisse des rapports et donc des transmissions pendant 2 mois, c’est logique qu’une reprise à la hausse soit observée après le déconfinement, mais lissés sur l’année, j’ai tendance à penser que les effets du confinement et de la peur seront plus forts que l’effet d’une reprise”, précise la directrice.

Plusieurs possibilités pour se faire dépister

Le dépistage est possible partout en France dans les CeGIDD (sans ordonnance ni carte Vitale) et dans les laboratoires d’analyses médicales sur ordonnance. Pour des questions pratiques liées à la pandémie, il est préférable de contacter le laboratoire avant de se déplacer, afin de s’assurer qu’il est bien possible de s’y faire dépister aux IST et au VIH.

À compter du déconfinement, l’idée est de relancer l’activité tout en protégeant les publics et les militants. “On va y aller progressivement sur le dépistage en face-à-face, on est en train de définir ça avec nos acteurs de terrain. Une opération nationale de grande ampleur sera également lancée dans les jours à venir pour encourager le dépistage, notamment via l’envoi d’autotests”, affirme Aurélien Beaucamp, avant de préciser que la question se pose avec une vigilance toute particulière pour les populations les plus vulnérables au VIH et aux IST, qui sont éloignées de la prévention et du soin et qui subissent des discriminations au quotidien (personnes travailleuses du sexe, usagères de drogues, migrantes, transsexuelles, notamment). Le président d’AIDES rappelle que ces personnes souffrent de cette même vulnérabilité face au Covid-19.

En Île-de-France, certains centres seront en capacité de rouvrir dès le premier jour du déconfinement lorsque d’autres continueront les télé-consultations, sauf pour les IST symptomatiques, le VIH et/ou autres urgences, précise Eve Plenel.

Enfin, depuis le 6 mai à Nice et à partir ce week-end en Île-de-France, des opérations de prévention et de recommandations en sortie de confinement sont lancées. Elles permettent de recevoir une ordonnance de renouvellement pour la PrEP ou pour un dépistage, l’envoi gratuit d’autotests VIH et de préservatifs à domicile, ainsi qu’un numéro d’information. L’envoi à domicile pourra être effectué partout en France (toutes les infos en fin d’article).

Si l’on observe plutôt une tendance à la baisse pour le nombre de séropositifs au VIH en France, notamment avec le traitement de la PrEP, qui empêche la transmission et le déploiement, les IST telles que la chlamydia, le gonocoque et la syphilis sont plutôt à la hausse, depuis plusieurs années et notamment chez les jeunes de moins de 30 ans et chez les hommes qui ont des rapports avec des hommes, explique Eve Plenel.

Rapports sexuels et Covid : “Faites ce que vous voulez en vous protégeant, mais évitez au maximum le sexe groupé”

Difficile d’anticiper le comportement des gens, surtout en période de crise… Selon Eve Plenel, on peut très bien imaginer une réaction de peur face au Covid-19 et donc face à la maladie et à la mort, qui pourrait conduire à éviter les contacts et relations sexuelles. Mais, elle imagine aussi une sorte de “carpe diem” qui pourrait conduire les gens à se dire “soyons fous”, “profitons”, “nous allons tous mourir de toute façon !”

La directrice du programme Paris sans sida précise que si l’on regarde vers le passé, dans l’histoire du VIH, dans les années 1980, lorsque la peur du virus s’est abattue sur les jeunes, notamment homosexuels, les gens sortaient beaucoup moins dans les bars et les boîtes de nuit. Le président d’AIDES explique quant à lui que “sur les périodes post-crises, on peut constater aussi bien des excès qu’une continuité dans le comportement des gens. Dans les deux cas, notre rôle est de donner toutes les informations pour permettre à ces personnes de se protéger”.

Tous deux insistent sur l’importance des mesures de réduction des risques de contamination au Covid lors des rapports sexuels : une hygiène stricte avec des douches et un lavage régulier des mains. Selon Eve Plenel, éviter les échanges de salives et les préliminaires serait également plus prudent, puisque le virus se transmet par les postillons. En cas de symptômes liés au Covid (toux, fièvre, fatigue, courbatures, essoufflement), il est indispensable de prévenir son ou ses partenaires et de s’isoler.

Dans le contexte difficile que nous vivons tous, “retrouver une vie sexuelle peut aussi faire du bien, notamment pour la santé mentale”, explique Eve Plenel. Quant à lui, Aurélien Beaucamp conclut : “Faites ce que vous voulez en vous protégeant, mais évitez au maximum le sexe groupé.”

Est-ce que quelques jours supplémentaires sans sexe ne valent pas du safe sex ?

Au total, les Français auront passé au moins 8 semaines confinés, a priori sans nouvelles rencontres sexuelles et donc sans risques de transmission ou contamination aux IST et au VIH. Les résultats d’un dépistage à ces maladies sont disponibles en 48 heures, en temps normal. Alors, même si l’on allonge ce délai à une semaine, parce que le contexte sanitaire est très particulier en ce moment, est-ce qu’on ne pourrait pas envisager, pour soi-même ou comme une responsabilité collective, d’attendre de se faire dépister avant de (re)trouver nos partenaires sexuels ?

Depuis deux mois, on parle de santé, de santé publique et on a assisté à la triste démonstration selon laquelle il y a des virus et des maladies que l’on peut difficilement contrôler, maîtriser et éviter. Mais alors, si pour certaines infections ou certains virus, on peut gratuitement, sans douleur et en très peu de temps, se faire dépister, attendre juste le temps d’être sûr que tout va bien (et si besoin se traiter) et éviter par là même la transmission de maladies, pour quelle bonne raison s’en priver ?

Pour l’heure, les institutions de santé publique n’ont pas communiqué sur d’éventuelles recommandations pour les rapports sexuels en sortie de confinement. Le président d’AIDES rappelle qu’il est nécessaire “qu’elles prennent leurs responsabilités d’une manière ou d’une autre, en communiquant par exemple sur la situation actuelle avec les conséquences du confinement et l’opportunité de lutter contre le VIH et les IST ou en communiquant sur le ‘retour à la normale’ de la sexualité en France, avec des informations de prévention basiques”.

Toutes les informations sont régulièrement mises à jour sur le site de Sida Info Service : ici

En Île-de-France, Vers Paris sans sida a mis en place 2 actions :
– avec Le Kiosque/Checkpoint : depuis le 8 avril, envoi d’autotests VIH et de matériel de prévention par voie postale (demande par mail à animateur@lekiosque.org ou en appelant le 01 44 78 00 00) ;
– avec AIDES : à partir du lundi 11 mai, envoi d’autotests VIH, de matériel de prévention et d’une ordonnance de bilan IST (01 84 60 26 12 du lundi au vendredi, de 11 heures à 19 heures – possibilité de laisser un message en dehors des horaires d’ouverture du standard).
Pour la région de Nice, le numéro est 04 66 96 67 99 et le site www.objectifsidazero.org
Pour la région de Grenoble : www.alpesansida.fr