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“Effet Zahia”, réseaux sociaux… pourquoi la prostitution des mineurs augmente en France

“Effet Zahia”, réseaux sociaux… pourquoi la prostitution des mineurs augmente en France

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© choja / Getty Images

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Par Clothilde Bru

Publié le

Les réseaux sociaux sont devenus le terrain de chasse privilégié des loverboys, ces proxénètes des temps modernes.

À l’occasion des 30 ans de la Convention internationale des droits de l’enfant, France Inter et Konbini s’associent à l’UNICEF et consacrent une journée spéciale : “Les enfants d’abord !”  

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Depuis le début de l’année, plusieurs rapports font état d’une augmentation de la prostitution des mineurs en France. Selon l’estimation d’Agir contre la prostitution des enfants (ACPE) et d’autres associations qui travaillent sur le terrain, ils seraient entre 5 000 et 10 000 jeunes de moins de 18 ans à proposer du sexe contre de l’argent.

“Les chiffres de la police sont beaucoup plus bas parce qu’ils se basent sur les enquêtes, les interpellations, etc. Ils estiment ces jeunes entre 2 000 et 3 000”, concède Sandra Ayad interrogée par Konbini news. Cette dernière a coordonné le dernier rapport de la Fondation Scelles qui milite pour la disparition de la prostitution. Ce 5e rapport mondial sur l’exploitation sexuelle a été publié en juin dernier. 

Si les chiffres de la police sont inférieurs à ceux que font remonter les associations, tout le monde s’accorde sur le fait que le phénomène progresse. En 2017, la police et la gendarmerie ont recensé 99 affaires dans lesquelles des jeunes ont eu recours à la prostitution d’eux/elles-mêmes (sans proxénète) contre 122 en 2019. Et les données s’arrêtent au mois d’octobre pour cette année, précise le service de communication de la police nationale joint par Konbini news.

En deux ans, quatre fois plus de dossiers ont été traités en France. Sur ces quatre dernières années, les affaires de proxénétisme sur mineurs ont été multipliées par six, affirme France Inter qui se base sur des chiffres fournis par l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH).

Plus récemment, c’est deux études menées par l’Observatoire des violences envers les femmes dans le département de la Seine-Saint-Denis qui a retenu l’attention des médias. 

L’Observatoire a eu accès à 19 dossiers fournis par les juges pour enfants du tribunal de Bobigny et analysé une quarantaine de signalements de la protection de l’enfance. Cela représente un échantillon d’une soixantaine de jeunes. 

Les conclusions de cette enquête révèlent la place qu’ont pris les réseaux sociaux dans la prostitution des mineurs : “Snapchat, Instagram, Facebook, Tik Tok représentent 50 % des lieux d’approche des clients de prostitution.” 

Une première passe par amour

Mais ces applications ne servent pas qu’à rentrer en contact. “Les réseaux sociaux facilitent l’organisation du proxénétisme : du recrutement des victimes à la réservation de la chambre d’hôtel, en passant par la publication d’annonces pour mettre en relation les personnes prostituées et les clients. Ça multiplie les possibilités”, précise Arthur Melon, secrétaire général d’ACPE, interrogé par Konbini news.

© T2 Images / Getty Images

Des proxénètes utilisent les réseaux sociaux pour repérer les mineur·e·s vulnérables, explique Sandra Ayad, qui est aussi responsable de l’Observatoire international de l’exploitation sexuelle pour la Fondation Scelles  :

“Les potentielles victimes ont tendance à se confier énormément sur Instagram ou Snapchat. Ça permet aux prédateurs de repérer les personnes vulnérables ou en recherche de reconnaissance.”

Il y a aussi les forums en ligne particulièrement plébiscités par les ados. “Sur un site comme Discord, on ne se méfie pas forcément lorsqu’on accepte quelqu’un dans son groupe de discussion”, analyse-t-elle.

C’est aussi via ces canaux que les “loverboys” font du repérage. Le loverboy, c’est ni plus ni moins que la forme la plus sournoise du proxénète. Sa stratégie consiste à simuler de l’amour pour sa victime. 

“Le loverboy utilise la relation amoureuse qu’il a avec une jeune fille, comme moyen de pression pour qu’elle accepte de se prostituer”, explique Arthur Melon. 

Ensuite ce sont les menaces et la peur d’être rejetée qui poussent la victime à s’exécuter. Pour Sandra Ayad, la méthode est toujours la même :

“Il va la séduire, l’isoler de sa famille, de ses amis, l’amener à fréquenter des milieux de nuit où il y a d’autres prostituées qui vont donner l’impression que c’est cool. Et puis petit à petit, la mineure va accepter une première passe par amour sans même se rendre compte de ce que c’est”.

C’est l’autre point inquiétant que font remonter ces associations. Certains adolescents ne savent plus vraiment ce qui est du sexe ou non. “Il y a des jeunes qui considèrent qu’une fellation n’est pas un rapport sexuel”, confirme Arthur Melon qui met en cause l’exposition de plus en plus précoce à la pornographie en ligne.

Un business plus rentable que le trafic de drogue 

S’il y a toujours eu des proxénètes qui entretenaient des relations amoureuses avec des prostituées, les associations observent une banalisation de ce phénomène. Pour preuve : les souteneurs sont de plus en plus jeunes. Ce sont souvent des jeunes majeurs voire des mineurs, qui ne réalisent pas toujours que ce qu’ils font c’est du proxénétisme. 

“Des garçons expliquent qu’ils ont juste prêté leur copine à un autre copain en échange d’un service”, témoigne le secrétaire général d’ACPE.

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Dans d’autres cas, ces jeunes délinquants sont parfaitement conscients. Selon Arthur Melon, la police observe même un phénomène de conversion entre les trafics de stupéfiants et le proxénétisme : 

“Des jeunes mineurs s’aperçoivent que dans le proxénétisme, on peut se faire de l’argent plus facilement qu’avec le trafic de drogue. En termes de logistique, c’est plus simple, ça rapporte beaucoup d’argent et la réponse pénale n’est pas effrayante.”

Pourtant, le proxénétisme aggravé est passible de 10 à 15 ans de prison et d’une amende pouvant aller jusqu’à 3 000 000 d’euros selon l’âge du mineur prostitué. Pour rappel, en France seul le comportement des proxénètes ou des clients d’un·e prostitué·e mineur·e tombe sous le coup de la loi pénale. 

Sur une base de 10 clients par jour, une mineure peut rapporter entre 30 000 à 40 000 euros par mois à son proxénète, estime Arthur Melon. C’est une somme que les victimes qui se prostituent, touchent peu, voire même pas du tout. 

D’autres publications parlent d’un “effet Zahia“. Pour celles et ceux qui auraient oublié, Zahia Dehar est cette ancienne escort girl aujourd’hui actrice et créatrice reconnue, qui s’est fait connaître au prix d’un vaste scandale mêlant prostituées mineures et stars du football français. 

“Certaines jeunes filles s’identifient à cette jeune femme un peu comme à certaines starlettes de la téléréalité. Zahia est devenue une icône de la mode, alors qu’elle vient d’un milieu défavorisé et qu’elle a commencé à se prostituer mineure. Certaines adolescentes s’imaginent qu’en sortant dans des discothèques, elles vont rencontrer des gens qui ont de l’argent, et qu’elles peuvent peut-être sortir de leur catégorie sociale”, explique Sandra Ayad.

Si certains jeunes s’en tiennent à du michetonnage, d’autres utilisent la prostitution comme un tremplin vers une autre forme de criminalité, affirme Arthur Melon : “Les filles n’ont traditionnellement pas leur place dans le trafic de stupéfiants. C’est pourquoi elles se tournent vers la prostitution. On a beaucoup d’exemples de jeunes filles qui créent ensuite leur petit réseau en partant de là.”

Qui sont ces adolescent·e·s ? 

Dans l’immense majorité des cas, ce sont des filles. À titre d’exemple, sur l’échantillon de l’étude menée en Seine-Saint-Denis, il n’y avait que 2 garçons sur 60. Généralement ces jeunes prostitué·e·s sont âgées de 13 à 17 ans. Mais les victimes peuvent être plus jeunes.

“J’ai déjà entendu une gamine de 11 ans. Mais c’est un cas particulier parce que c’est la maman qui prostituait sa fille”, raconte Sandra Ayad. 

Contrairement à ce qu’on a longtemps cru, la prostitution des mineurs n’est pas l’apanage des quartiers défavorisés.

“On se bat contre l’idée selon laquelle cela ne toucherait que les catégories modestes. À l’ACPE, on reçoit des familles de toute condition sociale. Ce qui explique qu’un adolescent va tomber dans ces réseaux, ce n’est pas un facteur économique mais c’est un facteur psychologique : de la carence affective au contexte familial en passant par le traumatisme sexuel. On retrouve ces histoires dans toutes les catégories sociales”, tranche Arthur Melon. 

Une affirmation corroborée par l’étude menée cet été en Seine-Saint-Denis. Dans 90 % des cas, les victimes ont subi des violences dans l’enfance qu’elles soient sexuelles, physiques ou psychiques. 

Pour lutter contre l’expansion de ce phénomène, les associations recommandent de renforcer la traque de ces réseaux en ligne. Portée par le député LREM Mustapha Laabid, une proposition de loi allant dans ce sens a d’ailleurs été déposée en février dernier. Elle a été signée par une centaine de députés et devrait être présentée en fin d’année.