Le procès de “la meute” : la colère des Espagnol·e·s gagne le monde entier

Le procès de “la meute” : la colère des Espagnol·e·s gagne le monde entier

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Par Clothilde Bru

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Un jugement a mis le pays dans la rue et attiré les yeux du monde entier sur une affaire de viol en réunion.

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Lundi 30 avril, le hashtag #Cuéntalo s’est hissé parmi les sujets les plus discutés sur Twitter. Depuis le jeudi 26 avril, l’Espagne gronde. Samedi, les rues de la ville de Pampelune étaient noires de monde. Quelque 32 000 personnes étaient rassemblées. Des banderoles avaient remplacé les traditionnels foulards rouges, caractéristiques des rassemblements dans la ville : “Ce n’est pas un abus sexuel, c’est un viol.”

D’autres manifestations comme celle-ci se sont tenues un peu partout en Espagne. Le pays proteste contre un jugement au terme duquel cinq hommes ont été disculpés du viol d’une jeune fille de 18 ans, à l’été 2016 lors de la Feria de San Fermin à Pampelune. Leur groupe, autoproclamé “la Manada” (“la meute”), avait ensuite balancé la vidéo de leurs atrocités sur WhatsApp.

Après un procès suivi par toute l’Espagne, les cinq hommes du groupe, âgés de 27 à 29 ans, ont finalement été condamnés à 9 ans de prison pour “abus sexuel avec abus de faiblesse”. Parmi eux, un membre de la garde civile et un ancien militaire. Le jugement a estomaqué le pays. Comment expliquer que le viol n’ait pas été retenu ?

Le Code pénal espagnol exige qu’il y ait “intimidation ou violence” pour que le viol soit caractérisé, comme le rappelle Le Point. Or, sur les images filmées par les cinq hommes, la victime est prostrée et en état de choc. Elle ne semble pas s’opposer à ses agresseurs qui ont partagé la vidéo avec le message “En train d’en baiser une à cinq”.

Comble de l’horreur, la jeune Madrilène a donc dû prouver devant la Cour que non, elle n’était pas consentante lorsque le groupe l’a emmenée dans un coin sombre d’une ruelle avant de lui fondre dessus, pour finalement l’abandonner à moitié nue dans une entrée d’immeuble.

La veille du jugement, Amnesty International révélait cette étude glaçante : en Europe, seuls neuf pays reconnaissent qu’un rapport sexuel sans consentement est un viol.

Une pétition pour exiger la révocation des juges

Cette affaire pourrait bien être le début d’une petite révolution en Espagne. Pour beaucoup de commentateurs, les hashtags #Cuéntalo (“raconte-le”), #NoEsNo (“non c’est non”) ou encore #HermanaYoTeCreo (“ma sœur je te crois”) qui ont fleuri sur Twitter sont les héritiers du #MeToo américain, du #Balancetonporc français ou du #quellavoltache italien. Suite aux manifestations qui ont agité le pays, le gouvernement de Mariano Rajoy a annoncé qu’il étudierait l’éventualité d’une révision du Code pénal en matière de crime sexuel, comme le rapporte le Huffington Post.

Les juges sont également dans le collimateur des Espagnol·e·s. Durant le procès, l’un d’entre eux a demandé à joindre au dossier une enquête réalisée par un détective privé sur la vie de la jeune fille. Une pétition a été signée par 1,2 million de personnes pour exiger de la Cour suprême la révocation des juges. Le comportement d’un magistrat en particulier a mis le feu aux poudres : le juge Ricardo González s’était prononcé pour la relaxe d’un des prévenus.

Le ministre de la Justice en personne, Rafael Catalá, a reconnu lundi 30 avril qu’il y avait un problème avec ce magistrat.

Des nonnes montent au créneau

La colère a gagné toutes les sphères de la société espagnole. En signe de solidarité, les bonnes sœurs du monastère de Fontarrabie ont publié un long message sur leur page Facebook.

“Nous vivons cloîtrées, nous portons un habit qui nous arrive quasiment aux chevilles, nous ne sortons pas le soir (sauf urgences), nous n’allons pas à des fêtes, nous ne buvons pas d’alcool et avons fait vœu de chasteté. […] Et parce que c’est un choix libre, nous défendrons par tous les moyens à notre disposition […] le droit de toutes les femmes à faire LIBREMENT le contraire, sans qu’elles soient pour cela jugées, violées, menacées, assassinées ou humiliées”, selon une traduction du Huffington Post.

De Pampelune à Paris, le cas de cette jeune fille a mobilisé les foules. Dimanche 29 avril, un rassemblement s’est tenu dans la capitale française : 200 personnes ont manifesté au pied de la tour Eiffel pour protester contre la justice patriarcale, comme le rapporte Euronews.

Un nouveau procès devrait avoir lieu prochainement. Le parquet de Navarre a annoncé qu’il ferait appel du jugement, la peine de prison infligée étant très inférieure à ses réquisitions. Il demandait 22 ans et 10 mois de réclusion ainsi que 100 000 euros d’indemnisation pour chacun des prévenus.

Image de une : Canvalca/Wikimedia/CC