Comment fonctionne le renseignement pénitentiaire ?

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Par Clothilde Bru

Publié le

Ou l’art d’espionner en prison.

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Le Bureau central du renseignement pénitentiaire (BCRP) tel qu’on le connaît aujourd’hui souffle à peine sa première bougie. Inauguré en début d’année dernière par Jean-Jacques Urvoas alors ministre de la Justice, il a remplacé une structure existante qui commençait un peu à dater.

“C’était un bureau créé dans les années 80 d’une quinzaine de personnes qui se contentait de traiter les remontées des établissements pénitentiaires”, explique Floran Vadillo président du think tank L’Hétairie, alors conseiller pour le renseignement auprès du ministre de la Justice.

Ce Bureau de renseignement pénitentiaire s’occupait principalement de la sécurité des établissements, qui comprend notamment la lutte contre les évasions. “Il n’avait aucun moyen d’action juridique, aucune capacité de recrutement, aucun plan d’action stratégique et aucune véritable culture du renseignement“, résume l’ancien conseiller pour le renseignement de Jean-Jacques Urvoas.

Après les attentats de janvier 2015, la lutte contre le terrorisme devient une priorité. Longtemps, la prison a été considérée comme un angle mort dans le parcours de certaines personnes radicalisées. Selon Floran Vadillo, Jean-Jacques Urvoas était “convaincu depuis plusieurs années du rôle que l’administration pénitentiaire pouvait jouer dans la prévention de la menace terroriste en France”.

Après sa nomination au poste de ministre de la Justice, il se met donc au travail. Pendant 6 mois, ses équipes passent en revue les services de renseignement existants dans une vingtaine de pays.

“Le Canada a élaboré un système dont la structure est la plus proche de la nôtre. Ce qui est intéressant là-bas, c’est la capacité d’immersion des agents : ils sont au cœur de la détention. On n’est pas du tout dans un service uniquement d’administration centrale”, explique Floran Vadillo.

Dans le BRPC “nouvelle formule”, ils décident donc de garder ce qui marchait déjà. À savoir : la sécurité pénitentiaire et la lutte contre les tentatives d’évasion, auxquelles ils ajoutent la lutte contre le terrorisme et la lutte contre la criminalité organisée.

Ils doublent aussi les effectifs et créent un véritable réseau. “De 15 on est passé à 30-40 personnes auxquelles on a adjoint un réseau de renseignement pénitentiaire qui représente à peu près 300 personnes. Il y a donc au moins une personne par établissement pénitentiaire. À Fleury-Mérogis par exemple ils sont 5, et c’est trop peu ! Le réseau doit encore s’étoffer”, détaille le spécialiste du renseignement.

L’ambition est claire : “doter l’administration pénitentiaire de techniques d’espionnage élaborées (interceptions téléphoniques, sonorisation des cellules, Imsi Catcher, captation de données informatiques…)”, prévenir les menaces à l’intérieur et à l’extérieur des prisons comme l’explique Le Point.

Faire du renseignement en prison

Pour permettre à ce bureau d’avoir accès à toutes ces techniques de recueil du renseignement, il a fallu modifier la loi de renseignement de 2015 et le Code de procédure pénale. Désormais il est donc possible de poser des micros, d’avoir des surveillances audiovisuelles ou encore de faire des écoutes téléphoniques sur les portables détenus illégalement par les prisonniers qui semblent dangereux.

Il a ensuite fallu former des agents. Pour le renseignement en prison, il n’y a pas d’infiltration, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’espion déguisé en surveillant ou en détenu. Le recrutement s’est effectué auprès de personnels qui travaillaient déjà dans les prisons sur la base du volontariat. Les candidats ont ensuite eu à passer une série d’entretiens notamment auprès des services de renseignements partenaires, comme la DGSI (Direction génération de la sécurité intérieure) qui s’est aussi occupée de former ces nouvelles recrues.

“Ces délégués locaux du renseignement pénitentiaire sont chargés de remonter l’information et d’animer le réseau pour avoir une vraie connexion avec le terrain”, explique Floran Vadillo.

Après leur formation, ces “délégués” ont pour seule et unique mission de faire du renseignement en allant dans les coursives ou en discutant avec leurs collègues qui sont des observateurs privilégiés.

“Le problème dans le renseignement pénitentiaire, ce n’est pas vraiment l’accès à l’information : les détenus parlent et les surveillants observent un certain nombre de comportements. L’enjeu c’est plutôt la compréhension des phénomènes et la détection des signaux faibles.”

Pour Chems Akrouf, expert en renseignement et en intelligence stratégique, c’est aussi là que le bât blesse : “Il y a beaucoup de gens qui simulent leur radicalisation pour avoir moins de problèmes en prison, éviter de se faire maltraiter ou juste pour se rendre intéressant. Dire que quelqu’un est radicalisé en prison, c’est de plus en plus difficile.”

Et reste cette éternelle question : si tant est qu’on ait réussi à identifier les individus à risque, comment séparer le bon grain de l’ivraie ? L’auteur de l’attentat qui a coûté la vie à trois personnes à Liège s’était radicalisé en prison, un problème de plus en plus préoccupant en Belgique comme en France.

Un service voué à monter en puissance

Invité de BFMTV lundi 28 mai, le célèbre procureur de la République, François Mollins alertait sur le nombre significatif de détenus condamnés pour terrorisme qui s’apprêtent à sortir de prison dans les mois à venir. Une vingtaine en 2018, suivi d’une autre vingtaine en 2019, relâchés dans la nature au risque de présenter une menace, s’ils n’étaient pas repentis.

Invitée de France Info ce mercredi 30 mai, la ministre de la Justice Nicole Belloubet a répondu aux inquiétudes de François Mollins :

“Le service de renseignement pénitentiaire suit ces personnes et prépare leur sortie en préparant des fiches qui sont extrêmement précises et qui sont au moment de la sortie communiquées aux autres services de renseignement et notamment à la sécurité intérieure.”

Dans la loi relative à la justice qu’elle présentera cet automne, la garde des Sceaux s’est engagée à renforcer les effectifs et à augmenter le budget alloué à ce service de renseignement unique en son genre qui dépend du ministère de la Justice.

“Nous avons actuellement plus de 300 personnes qui sont dans les renseignements pénitentiaires. Ce chiffre va s’accroître, parce que ce service a été reconnu puissant, efficace.”

Il semble en effet nécessaire de rajouter des moyens quand on sait à quel point ce service est jeune. Il a déjà beaucoup à faire. Selon Nicole Belloubet, le Bureau central du renseignement pénitentiaire (BCPR) doit déjà garder un œil sur une fourchette allant de 1 200 à 1 600 détenus radicalisés – selon que le chiffre est donné par la ministre de la Justice ou par le Premier ministre. Et c’est sans compter les quelque 500 terroristes islamistes en détention.