Huile de palme : un nouveau cadeau fiscal pour les pétroliers ?

Huile de palme : un nouveau cadeau fiscal pour les pétroliers ?

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Boris HORVAT / AFP

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Par Pauline Ferrari

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Depuis 2 ans, le maintien de l’huile de palme dans la liste des agrocarburants bénéficierait à Total, selon les assos écologistes.

C’est une histoire qui dure depuis bientôt deux ans : la présence de l’huile de palme dans la liste des agrocarburants, qui bénéficient d’un avantage fiscal, cristallise les tensions entre le gouvernement et les associations écologistes. Ce qu’on nomme agrocarburants, ce sont des carburants produits à partir de matières végétales, dont l’huile de palme, accusée d’augmenter la déforestation de ses zones de production. 

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Tout commence en mai 2018, lorsque l’entreprise Total reçoit l’autorisation d’exploiter le site de La Mède, situé à proximité de Marseille. Ce site est reconverti en bioraffinerie afin de produire des agrocarburants, malgré l’interdiction du Parlement européen d’importer de l’huile de palme pour les biocarburants en 2021.

Or l’arrêté préfectoral prévoit, comme le rappelle Greenpeace, que Total peut traiter jusqu’à 650 000 tonnes d’huile de palme et dérivés par an dans cette usine, dont 100 000 tonnes de PFAD, un dérivé de l’huile de palme. L’ouverture du site de La Mède répond à des exigences préfectorales et gouvernementales : l’exploitation doit être “durable” et surtout… ne pas provenir de terres qui ont subi une déforestation. 

En juillet 2019, le site de La Mède ouvre ses portes et le PDG de Total, Patrick Pouyanné, l’affirme au micro de RTL : “Notre huile de palme ne vient pas de la déforestation.” La traçabilité de l’huile de palme utilisée doit d’ailleurs être garantie, selon les exigences de la Préfecture des Bouches-du-Rhône. Problème : en octobre 2019, Greenpeace publie un rapport intitulé “Total carbure à la déforestation”. L’ONG écologiste affirme que contrairement à ce que prétend Total, sa production d’agrocarburants n’est pas 100 % durable. La production du site de La Mède est basée sur l’importation d’huile de palme indonésienne. “L’huile importée pour produire des agrocarburants est contaminée par des huiles qui ne sont pas certifiées et dont la provenance est parfois illégale, voire la plupart du temps inconnue. Les moulins listés par Total, sur lesquels nous avons enquêté, s’approvisionnent en partie en fruits de palmiers à huile issus de parcs nationaux ou provenant de coopératives condamnées pour déforestation illégale”, révèle Greenpeace dans son rapport.

Suite à ce rapport, Greenpeace organise une action à la raffinerie Total de La Mède, dénonçant la non-durabilité de l’huile de palme importée. Les militants soulèvent également la question de l’augmentation des importations françaises de cette matière première, l’Europe étant déjà le second importateur mondial d’huile de palme. 

Le jeu des avantages fiscaux 

Suite à son enquête, Greenpeace demande de maintenir l’exclusion de l’huile de palme de la liste des biocarburants reconnus par l’État, et donnant lieu à une exonération fiscale sur la Taxe Incitative à l’Incorporation de Biocarburants (TIRIB).  

La question du maintien de l’huile de palme dans cette liste a donné lieu, ces derniers mois, à quelques retournements de situation au sein de l’Assemblée nationale. Et pour cause : en gardant l’huile de palme dans la liste des biocarburants, les entreprises qui l’exploitent – et donc Total, bénéficient d’un régime fiscal favorable. 

En 2018, les députés votent le retrait de l’huile de palme de la liste au 1er janvier 2020. Total avait tenté un recours devant le Conseil constitutionnel, qui l’avait débouté en jugeant que le Parlement avait le droit de supprimer cet avantage fiscal. Mais en novembre 2019, les députés votent en vitesse un amendement reportant l’exclusion de l’huile de palme de la liste des biocarburants à… 2026. Un vote à 60 députés, sans débats, qui oblige Édouard Philippe à demander un deuxième vote. Un tollé qui les pousse à faire marche arrière le lendemain, contre l’avis du gouvernement et du groupe Total : car cette exclusion met en cause la viabilité de sa bioraffinerie de La Mède.

Total dit vouloir protéger les emplois de la raffinerie de La Mède plusieurs médias et associations écologistes dénoncent l’avantage fiscal de plusieurs dizaines de milliers d’euros par an dont bénéficie l’entreprise pour la classification “biocarburant” de l’huile de palme. Cette exclusion ferait perdre à l’entreprise entre 70 et 80 millions d’euros. Précision importante de ce second vote : la liste des biocarburants exclut “tous les produits à base d’huile de palme” au 1er janvier 2020. Tous, vraiment ? 

Les PFAD, une manière pour Total de garder sa niche fiscale ? 

Alors que le second vote de l’Assemblée nationale précise l’exclusion de “tous les produits à base d’huile de palme”, une note de la direction générale des douanes publiée par Médiapart le 20 décembre 2019 révèle que les PFAD (Palm Fatty Acid Distillate), des distillats d’acide gras de palme issus de la production d’huile de palme alimentaire, pourront bénéficier du régime fiscal avantageux des agrocarburants. Les autorités assurent ainsi que ces PFAD ne “peuvent pas être considérés comme des produits à base d’huile de palme”. Pour Clément Sénéchal, chargé de campagne Climat au sein de Greenpeace, “le gouvernement essaye de faire une distinction alors que c’est exactement la même substance de départ”

Une véritable opportunité pour Total, qui veut en utiliser à La Mède, comme le révèle Médiapart : un porte-parole du groupe évoque une “quantité très limitée”, le média parle de 100 000 tonnes de PFAD par an, ce qui représenterait un tiers du traitement d’huile de palme qui était prévu par Total dans cette raffinerie. 

Ces résidus proviendraient principalement de Malaisie et d’Indonésie, des zones particulièrement touchées par la déforestation. Pour Greenpeace, maintenir les PFAD hors de la classification “huile de palme” est une manière pour le gouvernement de sauver Total et sa bioraffinerie. 

Suite à la révélation de ce document, le Ministère de l’écologie avait annoncé une grande concertation avec les acteurs économiques concernés (dont Total) et les associations écologistes début 2020. Du côté de Greenpeace, Clément Sénéchal nous indique ne “pas avoir de nouvelles de cette réunion”. Pour les associations écologistes, ce subterfuge n’est qu’une manière de maintenir la niche fiscale des biocarburants pour Total : “le gouvernement est déterminé à passer en force là-dessus. Emmanuel Macron est prêt à se couper de son bloc majoritaire au profit du patronat”, analyse Clément Sénéchal. 

L’association Canopée, qui lutte pour la préservation des forêts, a même déposé au 1er janvier 2020 un recours en référé devant le Conseil d’État pour excès de pouvoir, afin de faire annuler cette note. Greenpeace compte également attaquer cette note pour excès de pouvoir, devant le Conseil d’État, et insiste pour “expliciter le texte de loi pour que les PFAD soient considérés comme de l’huile de palme”, explique Clément Sénéchal. En parallèle, l’ONG écologiste est toujours dans l’attente d’une réponse de Total dans son recours contre la bioraffinerie de La Mède au tribunal administratif de Marseille.