Désastre du plastique : la faute à qui ?

Désastre du plastique : la faute à qui ?

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Marche du Siècle, le 16 mars 2019, à Bordeaux. © MEHDI FEDOUACH / AFP

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Par Astrid Van Laer

Publié le

Et si on arrêtait d'accuser les simples consommateurs ?

Pharrell Arot, journaliste à <em>Konbini</em> et rédacteur en chef de <em>Club Sandwich</em>, lors de son mois sans plastique. (© Club Sandwich)

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Le désastre de la culture du “fast” et du jetable

Si les bas coûts sont les premiers coupables du désastre du plastique, il faut aussi regarder du côté de la culture de l’obsolescence pour dégager un autre élément de réponse, lui aussi résultant d’une logique pécuniaire. Le “fast” est partout : dans la nourriture avec les “fast-foods”, dans la mode avec la “fast-fashion”… Les habitudes de consommation acquises ces dernières décennies tendent à nous faire acheter toujours plus, et nous poussent à nous débarrasser rapidement de pratiquement tout ce que l’on achète.

Ceci est éminemment problématique. Les emballages de nourriture à emporter sont truffés de plastique, on le sait, mais les vêtements aussi. En 2017, Greenpeace alertait sur ce problème et pointait du doigt le recours de plus en plus récurrent aux matériaux synthétiques dans ces vêtements issus de l’industrie de la “fast-fashion”, expliquant au sujet du polyester :

“[Il] émet près de trois fois plus de CO2 que le coton […], peut mettre plusieurs décennies à se dégrader et pollue l’environnement marin avec des microfibres de plastique.”

Mais cette mode du jetable n’est pas nouvelle. Il fut un temps où Coca-Cola, qui figure dans le top 10 des entreprises qui consomment le plus de plastique au monde, proposait uniquement des bouteilles en verre, et les gens rapportaient leurs bouteilles vides à la consigne pour qu’elles repartent dans les usines de la multinationale.

“Tout le monde était gagnant au jeu de la collecte : le producteur avait moins de bouteilles à fabriquer, le consommateur récupérait de l’argent et l’environnement était préservé”, explique l’entreprise elle-même sur son site. Mais dès les années 1960, “le jetable fait de l’ombre à la consigne”, poursuit la marque, expliquant : “L’emballage à usage unique devient un argument de vente, et en 30 ans la consigne disparaît alors totalement du paysage.” La situation actuelle serait donc en partie de la faute d’une mode qui séduit les acheteurs.

(© Guillermo Legaria/AFP)

Le “greenwashing” pour se donner bonne conscience

En plus de rejeter la faute sur le consommateur, les industries et les marques se donnent de plus en plus bonne conscience. Ce phénomène a même un nom : c’est le “greenwashing”, ou “écoblanchiment” en bon français. Ce terme désigne la volonté des entreprises de se vanter de petites initiatives écoresponsables, dans le but d’éclipser des comportements beaucoup moins éthiques.

Il suffit de se rendre sur le site de Coca-Cola, très régulièrement mis en cause pour son mode de production et les ravages environnementaux qu’il engendre, pour en voir les traces. On y trouve par exemple une rubrique “Environnement”, dans laquelle figurent des publications telles que “The Coca-Cola Company aide trois villages en Inde à mieux gérer leurs ressources en eau”.

En 2018, Greenpeace dénonçait le greenwashing de Nestlé. La multinationale, accusée d’être le plus gros pollueur au plastique des Philippines, se vantait alors dans un communiqué de “vouloir passer à 100 % de plastique recyclable ou réutilisable d’ici à 2025 et d’augmenter la part de plastiques recyclés, sans préciser dans quelle mesure”, déplorait Greenpeace. L’ONG a donc rétorqué :

“Contrairement à ce que Nestlé souhaite nous faire croire, le problème ne vient pas des consommateurs, mais bel et bien des entreprises qui produisent les déchets. Le géant de l’agroalimentaire doit se soumettre aux standards les plus élevés et montrer l’exemple.

Cela signifie réduire concrètement le volume de déchet et, à terme, renoncer entièrement aux emballages plastiques à usage unique. La crise du plastique ne se réglera pas grâce au recyclage.”

“Plus ce sera coûteux pour les distributeurs, plus les choses vont changer rapidement”

Alors comment faire pour que les industriels arrêtent de reporter la responsabilité des ravages du plastique sur les consommateurs ? Dans son rapport sur la pollution plastique, WWF souligne un point important : une fois leurs produits vendus, les industriels ont tendance à se laver les mains de ce qu’il leur arrive.

“Les producteurs de plastique ne sont pas tenus responsables des impacts négatifs de cette production, car le prix actuel du plastique vierge sur le marché ne tient pas compte de l’ensemble des coûts qu’il fait peser sur la société et la nature”, écrit l’ONG.

Interrogée par Konbini sur le sujet, Isabelle Autissier, navigatrice de renom et présidente de WWF France, pointe du doigt le coût du suremballage ainsi que la responsabilité des marques :

“Ça coûte très cher au consommateur, ces emballages avec les belles couleurs dessus et tout ça. Et, souvent, l’emballage est plus cher que ce qui est dedans. Mais il n’y a pas que le consommateur. Je pense que la responsabilité sur le plastique, c’est aussi les pouvoirs publics qui doivent légiférer, mais aussi des industriels qui doivent arrêter d’en utiliser.

Pour l’instant, ils les utilisent, mais pourquoi ? Parce que ce n’est pas cher du tout et qu’on ne leur fait pas payer les désordres et les dégâts que ça provoque. Donc ces gens-là, il faut les pousser à être citoyens et à arrêter de nous vendre des trucs suremballés.”

Comment un consommateur lambda peut-il entraîner les industriels à freiner, voire stopper, leur production de plastique ? Boycotter, c’est fort, mais c’est compliqué. En revanche, on peut inciter. Par le biais de législations fortes, mais pas seulement. Car si les industriels ont le pouvoir, le consommateur dispose d’une arme importante : l’influence. On l’a vu dans le milieu de la mode : face aux préoccupations de plus en plus importantes des acheteurs, certaines marques, comme Zara, ont lancé ces dernières années des collections écoresponsables.

Enfin, parmi les diverses possibilités qui s’offrent aux consommateurs, une initiative a particulièrement retenu notre attention. Les “Plastic Attacks” sont des opérations pacifiques et symboliques, mais non moins efficaces, montées par des acheteurs pour demander aux magasins de la grande distribution d’arrêter de mettre du plastique partout.

L’une des organisatrices des Plastic Attacks, Fanny Vismara, nous explique le concept :

“Le principe, c’est de se réunir, de faire les courses tous ensemble et une fois les achats effectués, on décide de se libérer de tous les emballages superflus, ceux qu’on ramène généralement à la maison.

D’ordinaire, le premier truc que l’on fait en rentrant chez soi, c’est de tout déballer et de mettre les produits dans le frigo. Cette fois, on laisse le plastique à la charge du distributeur.”

Partant du principe que c’est un coût pour les distributeurs de traiter ces déchets, l’idée est de se dire “plus on sera nombreux à les laisser, plus ce sera coûteux pour eux, et plus les choses vont changer rapidement.”