Eugénisme : la nouvelle charge du pape François contre l’avortement

Eugénisme : la nouvelle charge du pape François contre l’avortement

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© Jeon Han pour Korea.net via Flickr (tous les CC)

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Par Astrid Van Laer

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“Pourquoi ne voit-on plus de nains dans les rues ? Parce que le protocole de nombreux médecins dit : ‘Il va naître avec une anomalie, on s’en débarrasse.'”

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Alors qu’il recevait au Vatican des représentants d’associations de familles ce samedi 16 juin, le pape François a émis un avis plus que sévère sur l’avortement, fustigeant un “eugénisme en gants blancs”, en comparant l’IMG (interruption médicalisée de grossesse) aux pratiques nazies : “Au siècle dernier, tout le monde était scandalisé par ce que faisaient les nazis pour veiller à la pureté de la race. Aujourd’hui, nous faisons la même chose en gants blancs.” Et d’ajouter, comme le rapporte l’AFP :

“Pourquoi ne voit-on plus de nains dans les rues ? Parce que le protocole de nombreux médecins dit : ‘Il va naître avec une anomalie, on s’en débarrasse.’ […]

J’ai entendu dire qu’il est à la mode, ou au moins habituel, de faire au cours des premiers mois de grossesse des examens pour voir si l’enfant ne va pas bien ou s’il naîtra avec quelque chose, le premier choix étant de s’en débarrasser.”

Et si, malgré le fait que cela poursuit le dessein d’une position anti-avortement, le pape n’avait pas complètement tort ? Au bureau, on a posé la question, et beaucoup le disent très ouvertement : “Si mon enfant est handicapé, je crois que j’avorterai.” Ce n’est ni bien, ni mal, c’est un fait : après amniocentèse, plus de 95 % des fœtus diagnostiqués trisomiques sont avortés.

L’eugénisme – qui désigne l’ensemble des pratiques et méthodes visant à améliorer le patrimoine génétique de l’espèce humaine – qualifie en partie l’IMG. Malheureusement, interroger les dérives eugéniques dans le droit à l’IMG fait souvent le jeu des pro-vie. S’il n’est absolument et évidemment pas question de remettre en cause le droit à l’avortement, questionner ce que certains appellent le “droit à l’enfant parfait”, en ôtant tout prisme religieux, paraît alors de circonstance.

Vers un darwinisme médical ?

L’IMG est une “interruption de grossesse pratiquée pour des raisons médicales, sans restriction de délai”, si la santé de la mère est en danger ou “s’il y a une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité, reconnue comme incurable au moment du diagnostic”.

Pour les détecter, il faut effectuer un diagnostic préimplantatoire. Ce dernier permet d’éviter la transmission de troubles héréditaires en diagnostiquant de possibles anomalies génétiques. En 2007, dans Le Monde, le biologiste et directeur des recherches à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) Jacques Testart, comparait ce “tri biologique” à un “concours médical d’entrée dans la jungle compétitive”.

Et si la société moderne tendait à faire disparaître, à terme, tous les Forrest Gump de la Terre ?

À la question “Si tu découvrais lors d’un diagnostic prénatal que ton enfant est atteint d’un handicap mental ou physique majeur, penses-tu que tu avorterais ?”, Célestine*, 26 ans, étudiante à Paris, répond, gênée : “Oui, je pense. En me cachant derrière les mêmes excuses que tout le monde : ‘Il ne sera pas heureux, et moi non plus, sa vie sera plus compliquée, etc.'” La jeune femme poursuit :

“Je me demande en revanche ce que je ferais s’il s’agissait d’une pathologie cardiaque très contraignante, par exemple. Le handicap physique semble être une composante majeure dans le choix d’avorter ou pas, et ça ne dit vraiment pas de jolies choses sur le monde dans lequel on vit.”

Dans Conseil génétique et prévention, édité par l’Inserm, Marie-Louise Briard, professeure de génétique, et Jean Frezal, médecin spécialiste de la génétique, écrivent :

“La procréation est privatisée en ce sens qu’elle est envisagée comme une gratification à l’épanouissement d’une personne ou d’un couple et qu’elle devient exclusive de toute référence collective, par exemple celle que pourrait impliquer l’instinct de conservation biologique ou sociale.

Ainsi, l’enfant désiré doit-il être conforme à l’image que les parents s’en sont faite. Il doit être exempt de toute infirmité dont il arrive que certains parents nous disent d’une façon très révélatrice qu’ils ne pourraient pas le supporter.”

On se cache derrière son petit doigt en disant que c’est pour l’enfant à naître, mais c’est pour nous : élever un enfant avec un handicap physique ou un retard mental, ça bouleverse ta vie”, explique pour sa part Barbara*, confirmant cette idée.

Les progrès de la génétique influent vraisemblablement sur la natalité, laissant entrevoir une forme de darwinisme médical par la sélection, non plus naturelle mais justement génétique.

Une société de plus en plus eugénique ?

On ne peut néanmoins en aucun cas parler d’eugénisme d’État, le dépistage n’étant pas obligatoire en France. Seule la proposition de dépistage l’est, ce qui n’est pas du tout pareil. Toutefois, la société semble de plus en plus à tendre vers des pratiques eugéniques.

En 1999, Le Courrier de l’Unesco publiait un numéro intitulé “La tentation de l’enfant parfait”. Dedans, l’ancienne présidente du Comité international de bioéthique de l’Unesco, Noëlle Lenoir, évoque des risques : “L’outil génétique peut devenir un instrument supplémentaire d’exclusion dans des sociétés déjà discriminatoires.”

Pour Jean-François Mattei, ancien ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées sous Jacques Chirac et auteur de Questions de conscience, cela va de soi :

“Dans mon esprit, il n’est pas question de juger une femme ou un couple qui, après avoir appris qu’ils attendaient un enfant porteur de la trisomie 21, décident d’interrompre la grossesse. On a toujours assez de forces pour supporter les maux d’autrui. Il faut respecter cette liberté, qui est individuelle.

En revanche, un eugénisme d’État, par essence politique, n’est pas acceptable, sauf à organiser une société fondée sur la discrimination des êtres humains pour ne garder que les meilleurs. Mais quand 95 personnes sur 100 font le choix individuel d’interrompre la grossesse d’un trisomique 21, la somme des choix individuels dessine une société eugénique.”

“Nous dévalons le toboggan eugéniste”

Dans une interview accordée à Usbek et Rica en 2016, Laurent Alexandre estimait que de manière inévitable, “en attendant l’enfant parfait”, on va vers “la disparition de tous les embryons présentant des handicaps mentaux”. “Après la trisomie, on va également éliminer toutes les maladies qui tuent les enfants avant l’âge de 15 ans, comme les myopathies graves. Cette deuxième phase est inévitable”, poursuit le chirurgien.

Mais selon ce dernier, qui pense qu’on “se dirige vers un ‘eugénisme de convenance'”, on risque d’aller beaucoup plus loin : “Je n’ai parlé que du tri des ‘mauvais embryons’. Mais l’étape suivante, c’est le choix des ‘bons embryons'”. Ainsi, les embryons au QI trop bas pourraient, d’après lui, être éliminés, sans parler de la possibilité de modeler le physique.

Toutefois, le transhumanisme est encore de la science-fiction pour beaucoup de Français. En comparaison avec la Chine, où 50 % des jeunes sont pour l’augmentation du quotient intellectuel en agissant sur les fœtus, les Gaulois paraissent timides : seuls 13 % y sont favorables.

Au bureau, personne ne dit que s’il en avait la possibilité, il rendrait son enfant “plus beau”. Mais s’ils pouvaient le rendre plus intelligent, beaucoup n’hésiteraient pas une seconde. “Si cela devient la norme, j’ai envie que mon enfant puisse aller challenger les autres sur le marché du travail”, explique Lola, 35 ans.

En 2014, Laurent Alexandre signait une tribune dans Le Monde, dans laquelle il s’inquiétait : “Nous dévalons le toboggan eugéniste sans débat philosophique”, évoquant l’exemple des parents qui “avortent déjà leurs bébés présentant une mutation des gènes BRCA1-2, qui indique une forte probabilité […] de développer à l’âge adulte un cancer du sein ou des ovaires”. “Indépendamment de toute considération morale, ce choix est irrationnel”, poursuit-il en expliquant : “Il est très probable que le cancer du sein sera contrôlé en 2040 ou 2050.”

De passage chez Konbini, Laurent Alexandre nous avait expliqué la nécessité et l’impératif qu’il y a à “réduire les inégalités intellectuelles dans un monde où l’intelligence artificielle est omniprésente” :

* Les prénoms ont été modifiés.