“Je ne veux plus être une touriste chez moi, en Guadeloupe”

Témoignage

“Je ne veux plus être une touriste chez moi, en Guadeloupe”

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© Unsplash/Maël Gramain

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Par La Zep

Publié le

Pour Coralie, la double culture s’accompagne d’un syndrome de l’imposteur : comment se sentir Guadeloupéenne alors qu’elle ne retrouve son île que pendant les vacances ?

Ce témoignage a été écrit dans le cadre d’ateliers menés par les journalistes de la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un média qui accompagne des jeunes à l’écriture pour qu’ils et elles racontent leurs réalités quotidiennes.

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Les palmiers m’accueillent dès la sortie de l’avion. La chaleur frotte mes épaules. En attendant mes valises, impossible de retenir mes larmes. Un mélange de nostalgie et de tristesse d’avoir attendu plus de dix ans avant de remettre un pied sur l’île de mes souvenirs d’enfance. Ce voyage signifie tant pour moi. Je suis livrée à moi-même. C’est la première fois que je vais seule en Guadeloupe.

J’ai toujours été très attachée à mes origines. Quand j’étais plus jeune, avec mes parents, on passait nos étés en Martinique et en Guadeloupe. Martinique côté maman, Guadeloupe côté papa. La plage, le beau temps, la convivialité des gens, la nourriture… Tout était réuni pour que je m’attache. Mais, à 6 ans, je ne me rendais pas compte que la Guadeloupe ne s’arrêtait pas au soleil permanent, à l’eau turquoise et aux chichis. 

Je ne me sentais pas légitime

J’ai toujours grandi dans un environnement qui inclut de près ou de loin mes origines antillaises. Quand ma mère est arrivée dans l’Hexagone, elle a gardé l’habitude de s’entourer de Martiniquais, que ce soit dans son entourage familial ou amical. D’après elle, “c’est une manière de rester proche de son île”. Du coup, quand elle se décide à faire des soirées, ça parle souvent en créole. Elle ne me l’a jamais appris malheureusement, mais à force de l’entendre au téléphone, ou même quand elle me disputait, la compréhension est venue tout naturellement.

J’ai toujours grandi avec des odeurs et des saveurs antillaises. Aux menus : dombrés aux crevettes, bokits, acras ou encore boudins. La table du salon était tout le temps recouverte d’une nappe madras, tissu typique des Antilles. Mon père, quant à lui, aimait me parler de sa Guadeloupe natale à travers sa richesse musicale.

Mais, en grandissant, je ne me sentais plus à l’aise avec ce statut de consommatrice qui vient aux Antilles juste pour kiffer. J’avais l’impression inconfortable de n’être qu’une simple touriste. J’ai voulu comprendre ce que la population vit au quotidien, ce que l’on ne nous montre pas. Alors, j’ai commencé à me renseigner en suivant le travail de certains journalistes sur Twitter comme Sélène Agapé, mais aussi de médias indépendants comme Resca.

Ce débat sur la légitimité revient très régulièrement sur les réseaux sociaux. D’après les Antillais locaux/natifs, nous, ceux “d’origine”, utilisons les Antilles pour nous faire remarquer, sans réellement nous y intéresser. Ils nous reprochent par exemple de parler de zouk sans avoir appris à le danser, sans même comprendre les paroles, ou de ne pas connaître l’histoire de nos terres.

Des beaux paysages aux coupures d’eau

C’est pour ça que j’ai décidé d’y aller. La crise sociale qui a éclaté aux Antilles fin 2021 a été l’élément déclencheur de mon départ. J’ai passé trois mois là-bas, seule avec mon grand-père. Ce séjour m’a permis de véritablement comprendre ce que vivent les Ultramarins.

Par exemple, chez mon grand-père, des tonnes de bidons bleus remplis d’eau s’accumulent. Sous la table de la cuisine, dans la salle de bains, dans les toilettes, dans le garage… Pourquoi ? Parce qu’à Sainte-Anne, on coupe l’eau aux habitants entre 20 heures et 5 heures, tous les deux jours. Ça devient vite invivable. 

Bon, j’en ai quand même profité pour aller à la plage et manger des chichis. Plus le temps avançait, plus je me voyais vivre ici sur le long terme. J’ai même retardé mon retour d’un mois. En quittant ma belle Guadeloupe, je me suis promis que la prochaine fois que je reviendrai, ce sera pour poser mes valises définitivement.

Coralie, 22 ans, étudiante, Argenteuil