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Pourquoi la France retire (enfin) ses troupes militaires au Mali

Pourquoi la France retire (enfin) ses troupes militaires au Mali

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Ludovic MARIN / AFP

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Par Pauline Ferrari

Publié le

Ce retrait de la France et de ses partenaires européens fait suite à neuf ans de lutte antidjihadiste.

Au terme de neuf ans de lutte antidjihadiste menée par Paris, la France et ses partenaires européens ont officialisé jeudi leur retrait militaire du Mali, poussés dehors par les “obstructions” de la junte au pouvoir à Bamako. Paris et ses partenaires souhaitent toutefois “rester engagés dans la région” sahélienne et “étendre leur soutien aux pays voisins du Golfe de Guinée et d’Afrique de l’Ouest” pour contenir la menace djihadiste. Les “paramètres” de cette réorganisation seront arrêtés “d’ici juin 2022”.

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La décision a été actée mercredi soir, lors d’un sommet réunissant plusieurs dirigeants européens et africains. “En raison des multiples obstructions des autorités de transition maliennes, le Canada et les états Européens opérant aux côtés de l’opération (française) Barkhane et au sein de la Task Force Takuba estiment que les conditions ne sont plus réunies pour poursuivre efficacement leur engagement militaire actuel dans la lutte contre le terrorisme au Mali et ont donc décidé d’entamer le retrait coordonné du territoire malien de leurs moyens militaires respectifs dédiés à ces opérations”, soulignent-ils dans une déclaration conjointe.

La France est militairement présente depuis 2013 au Mali, proie des groupes djihadistes qui sévissent aussi dans d’autres États sahéliens. Paris est intervenu pour enrayer la progression des groupes islamistes radicaux menaçant Bamako et a ensuite mis sur pied une vaste opération régionale, Barkhane, déployant des milliers de soldats pour lutter contre les franchises locales d’Al-Qaïda et du groupe État islamique.

Mais malgré des victoires tactiques, le terrain n’a jamais été véritablement repris par l’État malien et ses forces armées. Facteur aggravant, le gouvernement malien a été renversé lors d’un double coup d’État en 2020 et en 2021, aboutissant à l’arrivée au pouvoir d’une junte qui refuse d’organiser des élections avant plusieurs années et qui surfe sur un sentiment antifrançais croissant dans la région.

Mises au ban par les États ouest-africains, les autorités maliennes fustigent la présence militaire occidentale sur leur sol et font désormais appel, selon les Européens, aux mercenaires russes de la société Wagner. Quelque 25 000 hommes sont actuellement déployés au Sahel, dont environ 4 300 Français (2 400 au Mali dans le cadre de Barkhane), selon l’Élysée. Le pays accueille aussi 15 000 soldats de l’ONU au sein de la Minusma, dont l’avenir est désormais en suspens puisqu’elle comptait sur un large soutien de Barkhane.

“Vide” sécuritaire

Le Mali était au cœur du dispositif antiterroriste français et européen au Sahel. Emmanuel Macron avait déjà décidé d’amorcer à l’été 2021 une réduction des effectifs français au profit d’un dispositif régional moins visible, mais ce départ contraint du pays va forcer Paris à accélérer cette réorganisation dans d’autres pays de la région menacés par la contagion djihadiste, notamment dans le golfe de Guinée.

“Nous considérons que la lutte contre le terrorisme est quelque chose d’essentiel pour le Mali, pour le Burkina, pour le Niger et pour les pays côtiers”, a assuré le président ivoirien Alassane Ouattara mercredi sur RFI et France 24. “Le départ de Barkhane et de Takuba [groupement de forces spéciales européennes, ndlr] crée un vide. Nous serons obligés d’acheter des armes, d’avoir une plus grande professionnalisation mais c’est notre devoir aussi. Les armées nationales doivent régler les problèmes sur nos territoires nationaux et c’est cela notre philosophie”, a-t-il estimé.

“Nous avons besoin de réinventer notre partenariat militaire avec ces pays”, a souligné mardi la présidence française. “Il ne s’agit pas de déplacer ce qui se fait au Mali ailleurs, mais de renforcer ce qu’on fait au Niger et de soutenir davantage le flanc sud”, a-t-elle ajouté.

Selon une source proche de l’Élysée, la France a promis de coordonner son retrait avec la mission de l’ONU au Mali et la Mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM), qui continueront de bénéficier d’un soutien aérien et médical français sur place, avant le transfert ultérieur de ces moyens.

Hors du Mali, Paris compte poursuivre la lutte antidjihadiste dans la région, où les mouvements affiliés à Al-Qaïda ou au groupe État islamique ont conservé un fort pouvoir de nuisance malgré l’élimination de nombreux chefs.

Outre un possible renforcement de sa présence au Niger voisin, qui héberge déjà une base aérienne française et 800 militaires, Paris ambitionne de proposer ses services à d’autres pays d’Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Sénégal, Bénin…) pour les aider à contrer la propagation du djihadisme vers le golfe de Guinée. Depuis 2013, 53 soldats français ont été tués au Sahel, dont 48 au Mali.

En France, les réactions politiques ne se sont pas fait attendre

Valérie Pécresse a déclaré que “notre mission au Sahel de lutte contre l’islamisme n’est pas terminée, je souhaite que la France reste au Sahel, que nos militaires qui ont payé le prix du sang, je veux que ces militaires puissent continuer cette lutte contre l’islamisme, le djihadisme au Sahel. En revanche, je pense que la façon dont la France est traitée par la junte malienne n’est pas digne et qu’on ne peut pas payer le prix du sang pour un pays qui ne veut pas de vous. Cette décision de réorganisation est une bonne décision, si c’est réorganiser. Mais il ne faut pas partir comme l’ont fait les Américains en Afghanistan, il ne faut pas abandonner ce terrain sur lequel la France défend des valeurs universelles. Il faut rester au Sahel. Si on abandonne ce terrain alors nos soldats seront sans doute morts pour rien et ça, je ne l’accepterai pas”.

Quant à Fabien Roussel, il a déclaré sur CNews : “La France doit se retirer de manière concertée du Mali, voire du Sahel, le faire en concertation avec ces pays, elle doit surtout changer de politique, le monde a changé, l’Afrique a changé, la France n’a pas changé, c’est encore la France-Afrique, la solution ne sera pas militaire, elle sera celle de la coopération et du développement. La Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, ndlr] impose un blocus aujourd’hui au Mali, ce blocus va appauvrir les populations d’abord, et nous nous opposons à ce blocus, je regrette que Jean-Yves Le Drian le soutienne.”

De son côté, le président français Emmanuel Macron “récuse complètement” l’idée d’un échec français au Mali, a-t-il réagi lors d’une conférence de presse, alors que Paris a décidé de retirer ses troupes du pays après neuf ans de lutte antidjihadiste.

“Que se serait-il passé en 2013 si la France n’avait pas fait le choix d’intervenir ? Vous auriez à coup sûr un effondrement de l’État malien”, a-t-il fait valoir, en ajoutant qu’“ensuite nos militaires ont obtenu de nombreux succès”, dont l’élimination de l’émir d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi) en juin 2020.

Quelque 2 500 à 3 000 soldats français resteront déployés au Sahel au terme de leur retrait du Mali d’ici environ six mois, a indiqué jeudi l’état-major des armées françaises jeudi. Actuellement, 4 600 militaires français sont déployés dans la bande saharo-sahélienne dont 2 400 au Mali, a indiqué le porte-parole de l’état-major, le colonel Pascal Ianni, lors d’un point de presse à Paris. “À la fin [du retrait], nous serons sur un volume de 2 500 à 3 000 hommes.”

Konbini news avec AFP