Entre démocratie, écologie et laïcité… Qu’est-ce qui intéresse les jeunes ?

Entre démocratie, écologie et laïcité… Qu’est-ce qui intéresse les jeunes ?

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Par Emma Couffin

Publié le

Une enquête conséquente révèle un désengagement politique des 18-24 ans mais un certain attachement à des thématiques sociétales.

Mais qu’est-ce qu’il y a dans la tête des jeunes ? L’Institut Montaigne vient de publier son rapport de février 2022 intitulé “Une jeunesse plurielle. Enquête auprès des 18-24 ans” qui dresse le portrait de cette jeunesse d’après un échantillon de 8 000 jeunes de 18 à 24 ans. Ces résultats ont été comparés avec ceux de leurs aînés, 1 000 “parents” entre 46 et 56 ans et 1 000 “baby boomers” entre 66 et 76 ans.

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La génération Z est-elle vraiment désenchantée, désillusionnée, désintéressée des questions politiques par rapport aux générations antérieures ? Voici ce qu’on peut trouver dans le rapport publié par ses deux auteurs Olivier Galland, directeur de recherche au CNRS, et Marc Lazar, directeur du Centre d’histoire de Sciences Po Paris.

Une jeunesse, des jeunesses

“La jeunesse n’est qu’un mot”, affirmait Pierre Bourdieu en 1978. Par cet adage, le sociologue soulignait le flou qui existait sous une telle dénomination. Sous le terme “jeunesse”, on retrouve une diversité de conditions, une multitude de jeunes au capital économique et culturel différent. Au micro de France Inter ce jeudi 3 février, Marc Lazar déclarait que “la grande idée qui sort de cette enquête, c’est qu’il y a une jeunesse et des jeunesses”.

Tous les jeunes ne sont pas préoccupés par les mêmes thématiques, ni avec la même intensité. Les deux chercheurs analysent notamment les thèmes de l’engagement, la désaffiliation politique et la radicalité. “Il y a tout une partie de la jeunesse, regroupée dans le groupe des désengagés, 26 % de notre échantillon, qui sont totalement en retrait du jeu démocratique”, surenchérit Olivier Galland. Les deux chercheurs décèlent en effet quatre catégories selon le niveau d’engagement des 18-24 ans : les démocrates protestataires (39 %), les révoltés (20 %), les désengagés (26 %) et les intégrés transgressifs (13 %).

À titre d’exemple, même si les jeunes sont plus sensibles que les générations précédentes à la question du racisme d’État, il existe des clivages au sein même des 18-24 ans. Il demeure que seule une petite minorité reste convaincue de l’existence d’un racisme structurel. En réalité, l’orientation politique est la variable qui a l’effet le plus fort sur cette perception.

Une vision pessimiste du devenir de la démocratie chez les jeunes

“Les jeunes seraient plutôt optimistes sur leur situation personnelle, mais pessimistes sur l’avenir de la société”, analysent les chercheurs. Même si les deux auteurs réfutent l’idée d’une quelconque “fracture” politique, ils observent toutefois une certaine “désaffiliation” des 18-24 ans à l’égard de la politique.

Ce qui ressort principalement de cette étude, c’est que les 18-24 ans ne se retrouvent pas, ni ne se réclament d’aucune filiation politique : que ce soit par “méconnaissance, soit par désintérêt et peut-être aussi par rejet”. Aussi, le non-positionnement politique se renforce dans cette nouvelle génération, quel que soit le niveau d’étude. C’est le constat majeur de cette étude : “cette désaffiliation politique des jeunes est d’une telle ampleur qu’il paraît improbable qu’elle ne soit pas le résultat, au moins en partie, d’un effet de génération. Il nous semble que c’est le fait majeur caractérisant le rapport à la politique des jeunes aujourd’hui.”

Malgré un “potentiel protestataire” chez les jeunes, les écarts avec les générations précédentes ne sont pas significatifs. Une forte majorité de jeunes répugne encore à manifester (44 %). La jeunesse n’est pas unanimement et collectivement prête à descendre dans la rue. Les deux auteurs constatent également que ce sont les moins engagés dans l’action protestataire qui sont le plus réticents au vote. Le vote et la manifestation sont deux voies d’action politique qui semblent donc complémentaires selon la frange la plus politisée des jeunes.

Entre le manque de confiance en la vie politique, le désintéressement du jeu électoral et du vote, les jeunes seraient de moins en moins attachés au principe d’un gouvernement démocratique à partir d’élections libres.

L’écologie, une préoccupation commune aux trois générations étudiées

Les 18-24 ans, la génération de leurs parents et leurs baby-boomers auraient des préoccupations communes, notamment sur la thématique des violences faites aux femmes et sur l’importance accordée à la question du terrorisme ou encore de l’écologie. Ce dernier thème fait consensus car 90 % des interrogés, toutes catégories et générations confondues, considèrent que l’écologie est un sujet “très” ou “plutôt” important.

Les violences faites aux femmes, le racisme, le terrorisme constituent les trois préoccupations majeures pour les 18-24 ans. Les “parents” estiment également que les violences faites aux femmes sont un sujet prioritaire avec le terrorisme, ils sont en revanche davantage concernés par l’écologie que par le racisme. Quant aux “baby boomers”, le sujet jugé le plus important est le terrorisme. Les violences faites aux femmes constituent le second sujet qui les préoccupe, puis viennent les violences entre jeunes.

Le genre et la laïcité sont des thématiques clivantes entre générations

Des jeunes plus inclusifs que leurs prédécesseurs ? Selon cette enquête, les jeunes seraient plus mobilisés que les générations antérieures sur le thème de l’évolution des droits LGBT, même si ces questionnements ne sont pas prioritaires. Chez les 18-24 ans en effet, seule une minorité considère ce thème comme “très important”. En revanche, la défense des droits LGBT serait un sujet mobilisateur pour un tiers des jeunes, apprend-on.

Les jeunes sont également plus engagés sur la question de la définition du genre que les générations antérieures. Ces derniers sont nombreux à adhérer à l’idée selon laquelle les différences sexuelles seraient exclusivement sociales.

Contrairement à leurs prédécesseurs, une majorité de jeunes pense que “le respect des convictions et des choix personnels est un principe supérieur au respect des règles de vie publique”. Pour les deux chercheurs, la frontière entre le public et le privé serait aujourd’hui moins nette qu’autrefois, en partie avec l’expansion des réseaux sociaux. Cela aurait des conséquences sur la perception de la laïcité. L’espace public et le domaine privé seraient désormais tellement imbriqués, que les “tenants d’une laïcité qui exigerait que les convictions personnelles ne puissent s’afficher dans certaines parties de l’espace public sont désormais moins bien compris.”

En bref, même si les jeunes ne se retrouvent pas dans les formations politiques actuelles et font face à un certain désenchantement politique, ils sont de plus en plus préoccupés par les thématiques sociétales telles que les violences faites aux femmes, le terrorisme ou encore l’écologie.

Malgré une vision négative de la démocratie et un pessimisme latent chez les 18-24 ans, notamment lié à la pandémie de Covid-19, “80 % d’entre eux se disent heureux”, conclut Olivier Galland.