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Algérie : ce n’est plus Rachid Nekkaz mais son cousin et homonyme qui sera candidat

Algérie : ce n’est plus Rachid Nekkaz mais son cousin et homonyme qui sera candidat

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Algerian businessman and political activist Rachid Nekkaz (C) shows his ID card as he arrives at the constitutional council to submit his candidacy for the 18 April vote, in Algiers, on March 03, 2019. – Algeria’s President Abdelaziz Bouteflika pledged Sunday not to serve a full term if re-elected at April polls after huge protests against his bid to extend his 20 years in power. The ailing leader vowed in an 11th-hour letter read out on state television to organise a “national conference” that would set a date for early polls which he would not contest. (Photo by RYAD KRAMDI / AFP)

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Par Astrid Van Laer

Publié le

Un "piège" qu'il dit préparer depuis 2016.

Rachid Nekkaz, le dimanche 3 mars 2019. © RYAD KRAMDI / AFP

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Attention, un Rachid Nekkaz peut en cacher un autre : c’est la leçon à tirer de la machination stupéfiante orchestrée par le sulfureux homme d’affaires, en pleine campagne pour l’élection présidentielle algérienne. Le Franco-Algérien, suivi par 1,5 million de personnes sur Facebook, est parvenu à attirer l’attention hier, éclipsant tous les autres opposants au président en exercice venus déposer leur candidature au Conseil constitutionnel.

Abdelaziz Bouteflika, 82 ans, a confirmé sa candidature au scrutin présidentiel hier. Celui qui n’est presque pas apparu publiquement depuis son AVC de 2013 briguera bien un cinquième mandat, et ce malgré les multiples protestations de ces derniers jours. Des milliers d’Algériens défilent dans les rues pour s’opposer à sa candidature et demander que le scrutin du 18 avril prochain soit plus démocratique.

Mais dans une lettre à la nation, M. Bouteflika a balayé ces revendications. Le chef d’État – qui n’a pas déposé son dossier lui-même, comme l’impose pourtant la législation en raison de son état de santé, car il est actuellement hospitalisé en Suisse – a promis que s’il était réélu, il n’irait pas au bout de son mandat. Il s’est engagé à organiser de nouvelles élections anticipées, auxquelles il ne participerait pas. 

Une décision qui a poussé les Algériens dans la rue jusque tard dans la nuit. Et c’est dans ce climat d’agitation générale qu’a eu lieu un tour de passe-passe digne d’un scénario de film. Les Algériens ont assisté à un véritable coup de théâtre ce dimanche 3 mars.  Si c’est bien Rachid Nekkaz, candidat du Mouvement pour la jeunesse et le changement (MJC) et fervent opposant d’Abdelaziz Bouteflika, qui a déposé un dossier de candidature au Conseil constitutionnel, ce n’est pas lui qui ressorti du bâtiment pour tenir un point presse…

“J’ai été obligé de sortir mon plan B”

Conférence de presse du cousin de Rachid Nekkaz, Rachid Nekkaz, le 3 mars 2019. (© Ryad Kramdi/AFP)

Eh oui, c’est son cousin et homonyme, Rachid Nekkaz, qui est apparu devant des journalistes médusés. Un homme dont on ne sait rien, à part son nom et sa profession de mécanicien. “Il a pris la parole devant la presse mais c’était pas très clair, assez ambigu. Ce stratagème est curieux”, commente pour Konbini news Fayçal Métaoui, journaliste algérien à TSA :

“Rachid Nekkaz l’a surnommé ‘ma photocopie, ma roue de secours’. On ne sait rien du tout sur lui. C’est un mécanicien sorti de nulle part. On sait qu’il est né en 1974 dans l’ouest algérien. C’est tout. On a vu des photos où il est à côté de lui, mais c’est pas un homme connu, c’est un homme ordinaire.”

Pourquoi une telle mise en scène ? Rachid Nekkaz a répondu à nos questions par messages : “Le sens de la candidature de mon cousin est symbolique, comme la présence symbolique de la candidature de Bouteflika.” Il ajoute :

“La candidature de mon ‘cousin homonyme’ s’inscrit dans une stratégie politique pour maintenir la pression sur la dictature de Bouteflika. Suite au refus du Conseil constitutionnel d’accepter mon dossier hier après-midi, j’ai été obligé de sortir mon plan B afin de rester dans le jeu et de maintenir la pression.”

Une tactique qu’il résume ainsi : “Mon cousin est l’équivalent d’Abdelaziz Bouteflika. C’est juste un nom, rien d’autre.” Et l’homme est sûr de son coup, qu’il dit “valable juridiquement à 100 % car son dossier est complet et parfait”.

“Un piège que je vous ai tendu depuis des années”

La candidature de l’homme d’affaires sulfureux n’était pas valide car ce dernier, né en France, dispose de la double nationalité et n’a pas vécu assez longtemps en Algérie. En connaissance de cause, il nous assure avoir prévu ce plan depuis plusieurs années. Plus précisément,“depuis le changement de constitution de février 2016” qui, selon lui, “le visait nommément”, évoquant la mise en place de l’interdiction pour les binationaux d’occuper des fonctions publiques.

Des dires corroborés par le frère de Rachid Nekkaz, Djamel Nekkaz, qui a publié une vidéo sur son profil Facebook. Il y déclare :

“Vous êtes tombés dans un piège, un piège que je vous ai tendu depuis plusieurs années. Vous avez cru que vous étiez plus intelligents, plus rusés, plus malins que les Nekkaz.

Je viens de vous prouver aujourd’hui même, conformément à ce que j’avais dit dans mes précédentes publications sur les réseaux sociaux, que vous, peuple algérien, allez bientôt comprendre notre démarche politique.”

Rachid Nekkaz nous assure même avoir tout prévu pour la suite :

“Voici le scénario politique qui est prévu : si le Conseil constitutionnel valide cette candidature le 13 mars, je deviendrai le directeur de campagne. Si mon cousin est élu, on créera immédiatement le poste de vice-président par voie parlementaire, fonction que j’occuperai. Et le président élu démissionnera aussitôt. Je prendrai alors automatiquement le poste de président.”

Selon Fayçal Métaoui, il n’y a pas eu de réaction officielle de la part du gouvernement algérien. “Mais sur les réseaux sociaux, les Algériens sont partagés”, explique-t-il avant de préciser : “Certains disent que Rachid Nekkaz est un escroc, qu’il a mené en bateau ceux qui l’ont suivi, qu’il n’a pas été clair avec eux ; et d’autres pensent que c’était la seule solution pour passer.”

“Rachid Nekkaz a été kidnappé”

Ce n’est pas la seule zone d’ombre dans cette histoire : dans la soirée du 3 mars, une publication sur son profil Facebook a particulièrement attiré notre attention. Il s’agit d’une photo de l’ancien candidat devenu directeur de campagne, accompagnée du message suivant : “Immédiatement après la sortie du conseil constitutionnel, Rachid Nekkaz été kidnappé par la police en civil sur ordre de la mafia des 40 voleurs. Direction : inconnue.”

Rachid Nekkaz évoquait récemment à Konbini news cette “mafia des 40 voleurs”, qui seraient“des membres du gouvernement, des hommes d’affaires et des personnes faisant partie du complexe militaro-industriel algérien”.

L’homme d’affaires s’est aussi expliqué sur ce mystérieux post : “Immédiatement, en sortant du Conseil, et avec violence, j’ai été raccompagné de force jusqu’à mon village à 250 kilomètres à l’ouest d’Alger. Ils n’ont pas accepté le coup politique que j’ai réalisé.” 

Selon ses dires, il est actuellement assigné à résidence dans son village par un “pouvoir mafieux qui ne recule devant rien” pour “l’empêcher de rencontrer la population”. Il ajoute que son cousin Rachid Nekkaz a “lui-même été arrêté par la police pendant trois heures, hier soir à Alger”.

Mais pour notre confrère Fayçal Métaoui, ces propos sont à relativiser : “Non, non, il n’y a pas eu de kidnapping. Mais on l’éloigne effectivement d’Alger, on ne le laisse pas contacter la foule car il est en résidence surveillée.” 

Cet avis est partagé par Mehdi Alioui , journaliste au Huffington Post en Algérie : 

“Un jour il dit être enfermé à résidence dans son village, et le lendemain il poste des photos sur Facebook dans une ville à 100 kilomètres de là. Je suis toujours très prudent quand il s’agit de citer Rachid Nekkaz.” 

En France, Rachid Nekkaz a fait parler de lui à plusieurs reprises, notamment avec sa décision de payer systématiquement toutes les amendes des femmes verbalisées pour le port du niqab. En 2007, il n’avait pas obtenu les parrainages nécessaires pour l’élection présidentielle française. Six ans plus tard, il s’était présenté aux élections législatives et avait obtenu… zéro voix.