Démissions en série chez les soignants britanniques, épuisés par la pandémie

Publié le par Astrid Van Laer,

Portsmouth, Royaume-Uni © ADRIAN DENNIS / AFP

Plus de deux tiers des travailleurs médicaux a subi un burn-out pendant la crise sanitaire, et plus de la moitié des employés du secteur cherche un nouvel emploi.

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“Dès la fin de la deuxième vague, j’avais des cauchemars, des attaques de panique, des insomnies, des mouvements d’humeur. Ma vie personnelle s’effondrait. J’ai eu des pensées suicidaires”, raconte Joan Pons Laplana, ex-infirmer du NHS, le système de santé britannique.

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Ce Catalan de 46 ans, qui vit depuis deux décennies près de Sheffield, au nord de l’Angleterre, avait déjà fait un burn-out avant la pandémie. L’intense pression du travail pendant les vagues de Covid-19 l’a poussé, comme des milliers d’autres employés du NHS, à démissionner pour protéger sa santé mentale.

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Quelque 33 000 employés médicaux du NHS ont démissionné entre juillet et septembre 2021, dont près de 7 000 en quête d’un meilleur équilibre de vie, selon des statistiques officielles. C’est près du double du dernier trimestre 2019, juste avant la pandémie.

Les longues gardes, l’équipement étouffant, le risque d’attraper le virus et de contaminer sa femme ou ses enfants, ont épuisé l’ex-infirmier.

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“J’ai vu un patient de mon âge dire au revoir sur une tablette électronique à sa fille qui avait le même âge que la mienne. Quelques instants après il était mort. J’ai commencé à rêver des yeux du patient la nuit. Mon thérapeute m’a diagnostiqué un syndrome post-traumatique”, se souvient-il.

Un jour, en pleine réunion de service, Joan est parti et n’est jamais revenu. Il travaille désormais pour un programme d’accès à l’emploi de jeunes personnes handicapées ou défavorisées.

“On commence à sentir le burn-out”

Akshay Akulwar, quant à lui, n’a pas encore démissionné de son poste de chirurgien dans l’est de l’Angleterre, mais il se pose la question de partir travailler ailleurs : en Nouvelle-Zélande, en Australie, où les salaires sont meilleurs, voire dans son pays d’origine, l’Inde.

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Il dénonce l’accumulation de longues gardes. “Lentement, cela a un impact sur votre bien-être, votre disponibilité pour votre famille. On commence à sentir le burn-out, à travailler moins efficacement”, sans savoir jusqu’à quand il faudra tenir, explique celui qui est aussi porte-parole de l’Association des médecins du Royaume-Uni.

Selon une enquête du syndicat Unison, plus de deux tiers des travailleurs médicaux a subi un burn-out pendant la pandémie, et plus de la moitié a travaillé au-delà de ses heures contractuelles. Résultat : plus de la moitié des employés du secteur cherche un nouvel emploi.

“Le NHS manquait déjà d’environ 100 000 personnes avant le coronavirus”, après une décennie d’austérité. “La pandémie a renforcé la pression sur les employés médicaux et beaucoup en ont assez”, insiste Sara Gorton, une responsable d’Unison.

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Face au manque de bras aggravé par le variant Omicron, plusieurs centaines de militaires ont été déployés en renfort dans les hôpitaux et services ambulanciers.

Billy Palmer, du centre de réflexion Nuffield Trust, relève une tendance à la démission en augmentation depuis 2016, mais qui s’est toutefois interrompue pendant la première année de la pandémie : “Les gens se sentaient obligés de tenir et c’était plus difficile de trouver un travail ailleurs.”

“Traité comme un numéro”

Il note que depuis six mois les démissions repartent à la hausse. Certains partent à cause de l’obligation vaccinale dans les maisons de retraite ou certains établissements de soins spécialisés, mais beaucoup mettent en avant la pression dans des services en sous-effectif permanent ou un sentiment de ne pas être valorisés.

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Alex, infirmier psychiatrique, qui ne souhaite pas révéler son nom de famille, a vu sa charge de travail augmenter de 25 % pendant la pandémie. “Je me sentais traité comme un numéro. J’ai commencé à me sentir déprimé”, confie-t-il.

Il a par conséquent décidé de se reconvertir et travaille désormais pour une organisation qui aide les victimes d’esclavage moderne et de violences domestiques. “Je touche une rémunération équivalente mais je subis moins de stress et mon travail est apprécié”, confie-t-il.

Chez les professions médicales moins qualifiées, la maigre paye ajoute à l’incitation au départ, alors que d’autres secteurs qui manquent de bras, tels que la distribution, augmentent les salaires.

Mais le Brexit complique la donne, car les démissionnaires au sein du NHS, où travaillent de nombreux étrangers, sont plus difficilement remplacés à cause de procédures migratoires plus complexes et coûteuses.

Quelle que soit leur raison, ces démissions aggravent les retards de soins accumulés par le système de santé : ils atteignent des records et pèsent sur les chances de survie lors d’accidents ou de maladies graves.

Konbini news avec AFP