IVG : pourquoi plus de 400 avocats veulent modifier la Constitution française après la décision de la Cour suprême américaine

Publié le par Astrid Van Laer,

À gauche : Paris, le 26/06/22. © Marie Magnin / Hans Lucas via Reuters Connect.
À droite : Paris, le 26/06/22. © Pauline Tournier / Hans Lucas via Reuters Connect

"Pourquoi attendre qu’un droit soit véritablement menacé et qu’il soit trop tard pour décider de le sacraliser ?"

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Vendredi, la décision de la Cour suprême américaine de révoquer le droit à l’avortement a provoqué une onde de choc dans le monde, jusque dans l’Hexagone, où la volonté de constitutionnaliser ce droit a rapidement fait son apparition dans le débat public. Dès le lendemain du verdict américain, la Nupes a annoncé sa volonté de déposer une proposition de loi en ce sens, tout comme Renaissance – anciennement La République en marche –, qui s’y était pourtant opposée lors de la précédente mandature.

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Parallèlement, une tribune est parue dans le Journal du dimanche. Dans cet appel titré “Il faut constitutionnaliser le droit à l’avortement”, plus de 400 avocats signataires plaident pour protéger les droits des femmes en inscrivant le droit à l’avortement dans la Constitution.

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Parmi les avocats à l’initiative de ce texte, on retrouve Julie Couturier, bâtonnière du barreau de Paris, ou encore Vincent Niore, vice-bâtonnier du barreau de Paris. Mais également Maîtres Karen Noblinski et Rachel-Flore Pardo, toutes deux avocates au barreau de Paris, qui nous ont expliqué leur démarche.

Konbini news | Considérez-vous qu’il y a un véritable risque que nous connaissions ce qu’il s’est passé aux États-Unis ?

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Rachel-Flore Pardo | Aujourd’hui, le droit à l’avortement en France n’est pas menacé. Mais ce que nous rappelle cette décision de la Cour suprême américaine qui est venue révoquer l’arrêt Roe v. Wade, c’est que les équilibres politiques sont fragiles. Rien ne nous dit que, demain, ce droit qui est aujourd’hui en France protégé par une simple loi ne pourra pas être menacé.

C’est pour ça que c’est aujourd’hui qu’il est urgent d’agir : parce que les forces politiques en présence peuvent permettre de parvenir à constitutionnaliser le droit aux femmes de disposer de leur corps et que tel ne sera peut-être pas le cas demain. La génération de Gisèle Halimi et Simone Veil s’est battue pour que nous ayons ce droit, il est de la responsabilité de notre génération de sanctuariser dans la Constitution française le droit des femmes de disposer de leur corps.

S’il y a une modification de la Constitution française, comment cela va-t-il concrètement se passer ?

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Rachel-Flore Pardo | Il y a deux voies possibles. La première est l’adoption d’une proposition de loi constitutionnelle. Tel est le cas lorsque le texte émane d’un parlementaire. Dans ce cas-là, le texte doit être voté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat. Ensuite, il est soumis à un référendum. L’autre voie, c’est le projet de loi constitutionnelle, lorsque le texte émane de l’exécutif, et, dans ce cas-là, une deuxième option est possible à la place du référendum, c’est de réunir le parlement en Congrès et de le faire adopter par les 3/5 du Congrès.

On voit bien qu’on ne change pas la Constitution comme on change une loi. Ce qu’une loi peut faire, une autre loi peut le défaire. C’est pour ça qu’il est essentiel d’inscrire ce droit dans la Constitution, parce que c’est la meilleure garantie que nous pouvons offrir aux femmes pour que, demain, elles ne se voient pas retirer ce droit.

Certains ont émis des réserves, ne voyant pas d’urgence à constitutionnaliser ce droit puisque aucune force politique n’a indiqué vouloir revenir dessus. C’est le cas de l’ancien ministre François Bayrou, qui a déclaré sur BFM TV ne pas être “pour qu’on décalque la vie politique française avec celle des États-Unis”, ajoutant : “Est-ce qu’il est utile de faire ça alors même qu’à ma connaissance aucun parti politique ne remet en cause la loi Veil ?” Qu’en pensez-vous ?

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Karen Noblinski | On ne calque pas forcément le modèle américain sur la France. À titre liminaire, il faut quand même se dire que tous les gens qui ont assisté à cette décision vendredi n’auraient jamais imaginé il y a quelques années que ce droit à l’avortement serait aujourd’hui retiré à une bonne partie des Américaines.

Ce qu’il s’est passé aux États-Unis nous alerte, cela sonne une alarme par laquelle on se dit que les droits des femmes ne sont jamais vraiment acquis, qu’il y a à toutes les périodes des tentatives de revenir sur ce que nous pensions être acquis. Alors, bien évidemment, le droit à l’avortement aujourd’hui n’est pas menacé en tant que tel chez nous.

Mais, pour revenir à ce que François Bayrou a déclaré, arguant que ce n’était pas d’actualité, et que ça n’avait donc pas d’intérêt de le faire maintenant, et plus largement à tous ceux qui interrogent l’opportunité d’inscrire dans la Constitution le droit à l’avortement, nous répondons : finalement, pourquoi attendre ?

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Pourquoi attendre qu’un droit soit véritablement menacé et qu’il soit trop tard pour décider de le protéger, de le sacraliser ? On peut aujourd’hui, dans l’équilibre politique qui est le nôtre, décider que ce droit va faire son entrée dans la Constitution pour le sacraliser, pour protéger sa mise en œuvre et sa garantie pour les femmes.

Rachel-Flore Pardo | Tout à fait. C’est précisément parce qu’il n’est pas menacé aujourd’hui que notre génération a cette responsabilité de le sanctuariser en l’inscrivant dans la Constitution française. Quand il sera menacé, il sera trop tard.

Karen Noblinski | Je voudrais terminer en insistant sur un point. Il faut protéger aujourd’hui en France bien sûr l’exercice de ce droit, mais aussi sa mise en œuvre. Il faut que, de façon homogène sur le territoire, les femmes, quel que soit l’endroit où elles vivent, les informations qu’elles ont reçues, aient connaissance du délai de quatorze semaines qu’elles ont pour recourir, qu’elles aient connaissance des points de planning familiaux, qu’elles puissent savoir vers quel médecin se tourner parce que, parfois, ce délai est dépassé et ça force certaines femmes à aller à l’étranger et parfois même à se retrouver dans des situations où l’avortement se fera clandestinement.

Interdire le droit à l’avortement ne limitera jamais véritablement le recours à l’IVG. Les femmes ont un droit sur leur corps et si ça doit être fait clandestinement, certaines femmes vont y recourir quand même. C’est ce qui met en péril leur santé mentale et physique. C’est pourquoi il faut insister sur cette prévention et cette sensibilisation pour qu’elles aient en main la connaissance de leurs droits et de la façon dont elles pourront les mettre en avant.